Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Chaque jour, les tendances de la tech et l'IA par Jean Rognetta et Maurice de Rambuteau

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Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique
30 juin · 3 mn à lire
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Concurrence et Souveraineté

ÉDITORIAL. Pile, je gagne ; face, tu perds. L’Europe ne peut pas sortir gagnante de ses démêlés avec les géants californiens.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Concurrence et Souveraineté

L'Europe mal armée sur l'échiquier technologique mondial (Dall-e)L'Europe mal armée sur l'échiquier technologique mondial (Dall-e)

Mardi dernier, la Commission européenne a « communiqué ses griefs » à Microsoft, l’accusant d’entraver la concurrence en incluant Teams dans ses suites bureautiques Office et Microsoft 365. Elle se fait ainsi l’écho du procès antitrust de l’administration Biden contre Google, dont on attend le jugement pour cet été, et surtout de celui de l’administration Clinton contre Microsoft en 1998, qui avait mené au découplage forcé du navigateur et du système d’exploitation. Cela avait marginalisé Microsoft pour vingt ans, facilitant l’émergence de nouveaux géants, tous américains, grâce au Web puis à l’Internet mobile.

Cette fois encore, les concurrents de Microsoft qui pourraient bénéficier de l’initiative de l’Europe sont américains : le pionnier Zoom, soutenu par Sequoia, Google (via Meet) et Salesforce (via Slack). Tous intègrent la messagerie au cœur d’une plate-forme d’applications professionnelles, de « services de productivité », selon leur nouvelle dénomination.

La technologie de 2030…

On peut assez aisément prévoir l’évolution de la technologie. L’IA générative se généralise déjà dans toutes ces plates-formes. Les comptes-rendus de réunion et les brouillons de mail deviennent monnaie courante dans les entreprises dont la langue de travail est l’anglais (les autres pourront attendre).

Les messageries sont bien placées pour devenir dans quelques années le point à partir duquel l’utilisateur lancera, non plus telle ou telle application où il travaillera seul, mais un agent d’IA qui effectuera telle ou telle tâche pendant que la conversation avec l’équipe continue. Deux des applications d’IA les plus populaires, Midjourney et Pika, ne sont accessibles qu’à partir d’une messagerie “non professionnelle”, Discord.

Si les messageries marginalisent le navigateur ou se confondent avec lui, elle pourront elles aussi être intégrées au système d’exploitation, d’autant plus facilement que celui-ci va être refondu avec l’IA générative. En ce qui concerne Microsoft, on peut donc imaginer que le géant intègre Teams à Windows, tout comme Copilot. C’est déjà le cas dans l’univers d’Apple, avant même le lancement d’Apple Intelligence. Et cela peut apporter des gains notables de sécurité et d’ergonomie.

… ou le marché de 2020

La Commission européenne n’est pas le Département de la Justice américain. En s’attaquant à Microsoft, la commissaire Margrethe Vestager espère simplement protéger les entreprises européennes d’une hypothétique hausse de prix due à l’emprise de Microsoft sur le marché des visioconférences, qui a émergé en 2020. Ce faisant, elle risque surtout de les couper du marché qui émergera d’ici à 2030.

Avant même que l’action contre Microsoft ne soit rendue publique, Apple avait annoncé que les nouvelles fonctionnalités d’intelligence artificielle ne seraient pas déployées,en Europe tant que les « incertitudes réglementaires » ne serait pas levées. Le 14 juin, Meta avait reporté sine die le lancement en Europe de Meta AI, disponible partout ailleurs sur ses réseaux sociaux.

En Chine, les entreprises et les consommateurs sont privés des avancées américaines dans l’IA et les semi-conducteurs, mais le gouvernement mobilise ses entreprises, de Baidu à Huawei, pour leur offrir des alternatives.

Seuil critique

En Europe, rien de tout cela. On s’y rengorge de l’importance du marché intérieur européen, qui nous conférerait un statut de grande « puissance technologique réglementaire ».  En réalité, c’est précisément l’absence d’un marché unifié qui handicape les start-up européennes. 

La France et l’Europe n’ont pas fait le choix de dépendre des plates-formes et des technologies américaines. Mais elles subissent depuis trente ans, passivement, la disparition progressive de leurs principaux champions, par un mélange d’impéritie et d’aveuglement. Faut-il citer Nokia ou, en France, Bull, Thomson, Alcatel, Atos…

En matière de semiconducteurs et d’intelligence artificielle, le retard européen a atteint un seuil critique. Or, sans semiconducteurs, pas d’avions de chasse ; sans IA, pas de robots.

Stagnation

Pendant toutes ces années, les gouvernements européens auraient pu renforcer l’offre, comme en aéronautique avec Airbus, ou, en son temps, dans la téléphonie mobile avec le GSM. Ils auraient pu, surtout, favoriser réellement l’unification du marché intérieur, par une simplification des réglementations et de l’accès au financement, pour favoriser le développement des start-up.

Au lieu de quoi, l’union des marchés de capitaux et l’union bancaire pataugent ; une politique tech européenne reste un mirage. Quant à la création d’une Darpa européenne pour renforcer l’innovation et poser la première pierre d’une armée commune, elle n’a jamais été qu’un rêve.

Plus petit dénominateur commun

En revanche, les 27 États se sont unis pour produire une avalanche de textes réglementaires censés cibler les grands éditeurs américains : le RGPD, le DSA, le DMA, le RIA/AI Act, etc. Ils ont montré que l’Europe peut avoir un réel impact, surtout quand elle s’attaque à des failles des autres droits.

La protection des données fait ainsi largement consensus. Certains aux États-Unis l’imitent ; d’autres nous l’envient peut-être. Cependant, sa contribution à la compétitivité européenne est, au mieux, nulle. Et probablement négative, ne serait-ce qu’à cause des lourdeurs imposées aux entreprises européennes. 

Si, comme cela se dessine, l’effet final de tous ces règlements est de « protéger » les Européens en les coupant de l’innovation, toute l’économie du continent en sera atteinte, durablement. L’Europe ne gagnera rien à retarder le déploiement de l’IA dans ses entreprises, mais elle peut tout y perdre.

Surtout au moment où le décrochage de la richesse produite par habitant se confirme.

Depuis la crise financière, l'écart entre l'Europe et les ÉtatsUnis ne cesse de se creuser • Source : FMIDepuis la crise financière, l'écart entre l'Europe et les ÉtatsUnis ne cesse de se creuser • Source : FMI

Ursula von der Leyen et Thierry Breton viennent d’être reconduits par leurs gouvernements respectifs dans la nouvelle Commission européenne. Il leur faudra faire preuve d’une vision nouvelle éviter la marginalisation de l’Europe, face à une deuxième administration Trump toujours plus probable, avec un moteur franco-allemand en lambeaux.

Cela peut sembler optimiste, Ce n’est pas moins nécessaire.

L'auteur animé par IA © Prisme GraphiqueL'auteur animé par IA © Prisme GraphiqueJean Rognetta

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