La fin de l'esprit encyclopédique et l'humiliation de l'Europe

CETTE SEMAINE DANS L'IA ET LA TECH • Un Halloween européen • Grok et la fin de l'esprit encyclopédique • La carte des techs par les résultats • OpenAI veut prendre la main sur votre Mac • Perplexity distribuera Getty • L'IA pourrait marquer la fin de la grande entreprise, mais non du capitalisme • Bienvenue dans Qant, dimanche 2 novembre 2025.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

D’Alembert, reviens, ils sont devenus fous !

Grokipedia n’emmènera pas l’humanité sur Mars. Mais l’encyclopédie d’Elon Musk coïncide avec l’effacement du soft power de l’Europe, humiliée à l’envi cette semaine, aussi bien par Trump que Xi Jinping. Ce n’est pas l’effet du hasard, mais de la technologie.

Qant rend cette semaine hommage à Fernand Léger (1881-1955)

Dans son style ineffable, Donald Trump s’est adressé Xi Jinping, mercredi à Séoul, en faisant référence à un « G2 » sino-américain qui exclura l’Europe de la gouvernance mondiale. Peut-être faudrait-il y voir, en réalité, un acte de candidature des États-Unis, tellement la « trêve » des tarifs douaniers déclarée par Donald Trump ressemble à une défaite. Les Chinois n’ont eu qu’à rediriger brièvement leurs achats de soja vers l’Argentine, à menacer de priver la défense américaine de terres rares et à se taire sur TikTok, pour que le grand artiste de téléréalité éprouve le besoin de chercher une échappatoire. Xi Jinping, grand seigneur, a laissé l’Américain sauver la face – pour l’instant. Mais le grand oublié des négociations, TikTok, sur lequel nous revenons plus loin, lui permet à tout instant de couvrir Trump de ridicule.

Xi Jinping n’a pas eu cette prévenance pour l’Europe. Le souvenir d’Ursula von der Leyen, cet été, s’humiliant devant Trump ,fait écho à la nouvelle, cette semaine, que le ministre des Affaires Étrangères allemand a dû annuler son voyage à Pékin faute d’interlocuteurs à rencontrer. Et le contrôle administratif sur l’exportation de terres rares, suspendu pendant un an vis-à-vis des États-Unis, reste en place pour les autres pays (ainsi que les mesures prises dès le mois d’avril). 

Conforter l’Europe

À ce train, l’Europe ne pourra même plus se consoler avec l’illusion de son « soft power » intellectuel et du savoir-faire réglementaire du « premier marché du monde ». L’actualité tech de cette semaine en offre un symbole inattendu : Grokipedia.

La première encyclopédie jamais écrite par une IA part d’un projet politique : remplacer les laborieux compromis et les débats sur Wikipédia par les opinions d’un Sud-Africain blanc né au temps de l’apartheid, Elon Musk. Wikipedia, elle-même, a substitué le débat ouvert entre internautes aux exigences académiques des encyclopédies commerciales, d’Universalis à Britannica.

Du moins Wikipédia conserve-t-elle des valeurs qui s’inspirent de la tradition européenne : la connaissance critique, l’universalisme, l’ouverture à tous. Le projet Grokipedia évoque plutôt Baidu Baike en Chine, Kwangmyong en Corée du nord, et feue la Grande Encyclopédie soviétique : une prise de position politique, travestie en recherche de la connaissance. Si les IA permettent à chacun de créer sa propre encyclopédie, selon sa puissance et ses biais, les bulles informationnelles se renforceront et la « polarisation » continuera de déchirer les sociétés numériques.

Certes, l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert partait aussi d’un projet politique. Mais ce n’était pas le même.

Jean Rognetta

…sera ravi de recueillir vos commentaires.

TikTok, l’autre levier d’influence de Pékin sur la Maison-Blanche

La rencontre Xi-Trump à Séoul s’est conclue sans accord formel sur TikTok. Derrière les déclarations triomphales du président américain, la Chine joue un jeu d’influence subtil, qui laisse Donald Trump dans une zone d’illégalité constitutionnelle tout en l’empêchant d’enrichir ses alliés.

  • Le non-fait nouveau : Malgré le « feu vert » chinois annoncé la veille par Washington, après les travaux préparatoires de Kuala Lumpur, aucun document n’a été signé à Séoul sur TikTok. La Chine laisse simplement entendre qu’elle « travaillera à une résolution appropriée » du dossier. Donald Trump, après avoir annoncé qu’un accord était conclu, a signé le 25 septembre un décret exécutif organisant la cession des activités américaines de TikTok à des investisseurs états-uniens.

  • L’objectif de Trump : Le cœur du projet prévoit une prise de contrôle majoritaire par la famille de Larry Ellison (Oracle) et le fonds Silver Lake, avec le concours de Michael Dell (Dell) et Rupert Murdoch (Fox News). L’opération permettrait à ces proches soutiens de Donald Trump de s’approprier TikTok U.S. avec une décote comprise 75 % et 85 %, selon CFRA Research. Un gain colossal pour les nouveaux propriétaires dans le but de garantir, sans doute, que le réseau social soit durablement favorable au régime trumpien.

  • Anticonstitutionnellement. Pour l’heure, TikTok continue de fonctionner normalement aux États-Unis, sous le contrôle de ByteDance, en attendant un accord final désormais prévu, au mieux, pour 2026. Or, une loi promulguée et entérinée par la Cour suprême prévoyait son arrêt le jour de l’entrée en fonction de Donald Trump. Le nouveau président a choisi, sans aucun fondement juridique, de reporter unilatéralement l’application de la loi. Chaque nouveau report rappelle le peu de cas qu’il fait de la constitution américaine.

  • EN FILIGRANE : David rachète Goliath • Avec le soutien de son père Larry Ellison, fondateur d’Oracle, David Ellison mène depuis cet été une course effrénée aux acquisitions de médias. Il contrôle désormais, notamment, Paramount et CBS, mais aussi The Free Press, une très populaire newsletter Substack, rachetée début octobre pour 150 millions de dollars. Outre TikTok, il tente de faire l’acquisition de Warner Bros Discovery (CNN, HBO, Warner Bros…).

  • À SURVEILLER :Le jeu de Pékin. En laissant Trump annoncer des avancées sans concrétisation, la Chine transforme TikTok en levier diplomatique. Chaque retard fragilise la crédibilité de la Maison-Blanche tout en gardant ouverte la possibilité d’un revirement. Cette stratégie confère à Xi Jinping un atout rare : le contrôle du tempo d’un dossier électoralement sensible pour Trump.

EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNÉS :

• RÉSULTATS • La carte des techs • L’avalanche de résultats du troisième trimestre des sociétés cotées permet aussi de repérer les technologies qui réussissent, et celles qui ralentissent.

• CONNAISSANCE • Grokipedia, ou la tentation d’une encyclopédie IA • Grokipedia s’impose comme expérience de “Generative Engine Optimisation” : une encyclopédie qui teste les limites politiques, économiques et épistémologiques du savoir automatisé. Entre Encarta et Wikipédia, elle esquisse un nouvel équilibre entre vérité et génération.

• USAGES • L’intelligence artificielle va-t-elle tuer l’entreprise ? • À mesure que les IA agentiques assument la coordination et la décision, les institutions qui ont structuré le capitalisme pourraient vaciller. L’entreprise, longtemps machine à hiérarchie et routine, découvre son double automatisé.

• ACTUALITÉS • Getty accorde une licence à Perplexity • Avec SAI, OpenAI renforce ses capacités de ses agents • Drones européens : Alta Ares 1 ; Stark 0 • Mistral ouvre son Studio • Londres menace Meta d’auditer ses algorithmes • Qualcomm se lance dans l’IA.

Alta Ares • Getty Images • Jatec • Meta Platforms • Mistral AI • Ofcom • OpenAI • Perplexity AI • Qualcomm • Roblox • Software Applications Incorporated • Stark Defence • YouTube

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

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Par QANT: IA et Technologies Émergentes

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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