Des drones et des virus : la face obscure de l'IA

CETTE SEMAINE DANS L'IA ET LA TECH • Le mur de drones européen se basera sur l'IA – si les rivalités nationales le laissent naître • Le risque biomoléculaire de l'IA se précise • L'IA aide les entreprises pour le climat et doit accélérer la productivité dans la santé • Bienvenue dans Qant, samedi 4 octobre 2025.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

La nouvelle donne stratégique européenne

Le projet de mur antidrones européen ne mérite ni tout l’honneur, ni l’indignité qu’on lui fait. Simplement, l’entrée dans le jeu de l’Union Européenne et l’affaiblissement de l’Otan par les Américains n’exemptent pas les États européens de jouer leur rôle au soutien de l’Ukraine.

Cette semaine, Qant rend hommage au Piranèse (1720-1778)

  • Faites-leur peur, mais pas la guerre • La guerre hybride russe contre l’Europe, longtemps limitée à des cyberattaques et de la propagande, contre les JO de Paris par exemple, a pris une nouvelle ampleur. Des avions russes ont violé l’espace estonien, des drones militaires ont survolé la Pologne et la Roumanie, et des engins civils — probablement manipulés par des forces spéciales — ont perturbé le trafic des aéroports de Copenhague, Berlin et Bruxelles. Ces provocations cherchent moins à ouvrir un nouveau front qu’à semer la peur, rendre le soutien à Kyiv et aux forces antirusses politiquement coûteux, et en général profiter de la position ambiguë des États-Unis et de l’affaiblissement de l’Otan qu’ils ont causé.

  • Un grand placebo vers l’avant • Face à cette tentative de fragiliser la cohésion européenne, un conseil européen informel à Copenhague a lancé cette semaine le projet d’un “mur antidrones” européenne. La Commission rendra une feuille de route sous deux semaines, que le Conseil devra approuver la fin octobre. Notre dossier ci-dessous examine en détail les défis technologiques, militaires et politiques auxquels l’idée sera confrontée. L’IA sera au cœur de ce « système de systèmes » dont le déploiement ne sera sans doute pas complet avant plusieurs années.

  • EN FILIGRANE : Drones et flotte fantôme. Tant que le front ukrainien saigne, Moscou ne peut pas affronter directement les pays européens et l’Otan, même minée par Donald Trump. Une riposte coordonnée sur son flanc nord — notamment via le verrou baltique — suffirait à lui couper une partie de ses revenus pétroliers. Entre 30 % et 60 % du brut russe transitent encore par la mer Baltique. Le Danemark et la Suède pourraient exiger que seuls les pétroliers assurés et conformes aux normes environnementales traversent l’Øresund, sous pilotage obligatoire. Une mission navale européenne pourrait contrôler la zone et bannir la flotte fantôme russe. Cela jette un jour plus précis sur l’arraisonnement d’un pétrolier fantôme au large de Saint-Nazaire, cette semaine.

    À SURVEILLER : Riposter sans tomber dans le piège. Si l’Europe ne veut pas céder au chantage hybride, elle doit imposer des coûts stratégiques : renforcer la frappe ukrainienne et asphyxier les exportations russes via la Baltique. Une coalition de pays pourrait ainsi décréter qu’à chaque escalade russe correspond une livraison immédiate d’armes à longue portée — Scalp-EG, Storm Shadow ou Neptune, sans parler des missiles Taurus allemands que Kyiv attend toujours. Dans ce contexte explosif, réunir l’opinion autour d’un bouclier anti-drones et faire entrer les institutions européennes dans le jeu semble perçu comme une distraction par les capitales de certains « grands pays ». Or, c’est une brique politique essentielle.

Scaleup Europe Fund • Segments.ai • Serena Capital • Uber

  • En voiture, Ursula • La Commission européenne prévoit de présenter en 2026 un cadre juridique unique pour les startups, destiné à faciliter leur croissance au sein de l’UE. Ce « 28e régime », qui vise à simplifier les démarches transfrontalières et à améliorer la rétention des talents, s’inscrit dans une stratégie plus large comprenant le Scaleup Europe Fund, doté de plusieurs milliards d’euros, et une approche « AI first » pour accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle dans les entreprises européennes. S’exprimant à l’Italian Tech Week à Turin, la présidente Ursula von der Leyen a proposé d’appliquer cette approche pour développer les voitures autonomes, affirmant que l’intelligence artificielle pouvait relancer le secteur automobile et renforcer la sécurité routière. Elle a proposé un réseau de villes européennes pilotes, déjà soutenue par 60 maires italiens.

  • Monte à bord, Serena • Serena Capital vient d’annoncer le premier closing de son nouveau fonds Serena IV à 200 millions d’euros, sur un objectif final de 250 millions, dédié à l’intelligence artificielle appliquée et à la transition énergétique. Le véhicule, soutenu notamment par le FEI, Bpifrance, des family offices et entrepreneurs, se distingue par une stratégie centrée sur les solutions logicielles et hardware liées à l’IA et à l’énergie. Environ la moitié des montants sera consacrée au refinancement de start-up existantes. Serena a déjà réalisé quatre investissements, dont Formality, et vise des tickets pouvant atteindre 30 millions d’euros par société. Elle rejoint donc Clint Capital, C4 Ventures et surtout Cathay Innovation (1md$ levés).  

  • Uber achète des Segments de Belgique • Uber Technologies vient d’acquérir la start-up belge Segments.ai, spécialisée dans le labeling de données multi-capteurs pour véhicules autonomes, pour renforcer son entité Uber AI Solutions, dédiée à la fourniture de services d’annotation de données.  Les fondateurs Otto Debals et Bert De Brabandere, ainsi que l’équipe de Segments.ai, vont intégrer Uber et contribuer à ses capacités en annotation Lidar et autres capteurs.  Les montants de la transaction n’ont pas été dévoilés.  Cette acquisition s’inscrit dans la stratégie d’Uber de vendre des services de labeling à des tiers, dans un marché des robotaxis qui commence à se structurer. Opportunément labelisées, les données de circulation qu’Uber a accumulées pourront permettre à d’autres constructeurs de véhicules autonomes de se confronter à Tesla.

La porte du bioterrorisme IA s’ouvre grand

Une étude publiée jeudi dans Science révèle une vulnérabilité « zero-day » dans les logiciels de contrôle des commandes d’ADN synthétique — une brèche potentielle pour concevoir des protéines mortelles via l’IA.

  • Découverte accablante • Les chercheurs américains et suisses, menés par Bruce Wittmann chez Microsoft, ont utilisé des algorithmes open-source de design protéique pour générer plus de 75 000 variantes de protéines dangereuses — légèrement modifiées pour « tromper » les filtres de sécurité — et constaté que certains logiciels de criblage ne les détectaient pas.

  • Un « zero-day » biomoléculaire • en cybersécurité, un zero-day désigne une faille inconnue — ici, c’est la première faille de ce type en “bio-IA”. Même après correction logicielle, environ 3 % des variants les plus à risque passent encore inaperçus.

  • Attaquer subrepticement • les cribles actuels comparent les séquences proposées à une base de données de menaces connues — mais dès qu’une protéine est modifiée structurellement (mutations, repliement, etc.), elle peut ne plus s’apparenter à un “signal rouge” reconnu.

  • EN FILIGRANE : Le risque augmente. L’IA permet non seulement de concevoir des molécules, mais accélère la recherche, la simulation, l’optimisation — réduisant le temps entre l’idée et la réalisation. La frontière entre “progrès thérapeutique” et “arme biologique” se rétrécit, et les outils de sécurité actuels montrent leurs limites.

  • À SURVEILLER : Le multilatéralisme en question. L’émergence de modèles d’IA plus puissants rendra cette course encore plus serrée — la prochaine faille pourrait ne pas être détectée avant d’être exploitée. Face à cette menace, les contrôles plus rigoureux et la coordination internationale sont rejetés par l’administration Trump, qui cherche à établir la suprématie américaine dans l’IA. Au point que le sommet de l’IA prévu en février semble destiné à être reporté.

    DeepSeek • ElevenLabs • Google • Klay Vision • Meta • OpenAI • Spotify • Stability AI • Suno • Udio • Universal Music • Warner Music

  • Que Sora, Sora 2 • OpenAI vient de finaliser une cession secondaire d’actions à hauteur d’environ 6,6 Md$, valorisant l’entreprise à près de 500 milliards $, confirmant les informations dont nous nous faisions l’écho.  Elle dépasse ainsi SpaceX pour devenir l’entreprise non cotée la mieux valorisée au monde. Dans le même temps, la start-up a lancé aux États-Unis et au Canada, sur invitation, un réseau social basé sur la vidéo IA. L’application vidéo Sora semble vouloir se comparer à TikTok et Youtube, et en tout cas l’emporte aisément sur Meta Vibes, lancé la semaine dernière. Selon Appfigures, Sora a enregistré 56 000 téléchargements le premier jour et 164 000 sur ses deux premiers jours. Ces chiffres placent Sora derrière ChatGPT (81 000) et Gemini (80 000), mais au-dessus de toutes les autres applications d’IA.

  • Quand l’IA vous flique…• À partir du 16 décembre prochain, Meta utilisera les conversations qu’ont les utilisateurs avec son chatbot d’IA pour personnaliser les publicités et le contenu qui leur est proposé sur Facebook et Instagram.  Les discussions portant sur les croyances religieuses, les opinions politiques, la santé, l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique seront exclues de ce ciblage. Les messages échangés avant cette date ne seront pas utilisés, et cette décision ne s’appliquera pas dans un premier temps au Royaume-Uni, en Corée du Sud et dans l’Union Européenne.

  • … ou qu’elle pousse la chansonnette •Universal Music et Warner Music sont sur le point de conclure, d’après le Financial Times, des accords de licence inédits avec plusieurs entreprises d’IA, dont ElevenLabs, Stability AI, Suno, Udio et Klay Vision, ainsi qu’avec Google et Spotify. Ces contrats viseraient à encadrer l’usage de leurs catalogues pour l’entraînement de modèles et la création de morceaux générés par IA. Les deux majors souhaitent instaurer un modèle de rémunération inspiré du streaming, fondé sur des micropaiements déclenchés à chaque utilisation, et exigent le déploiement de systèmes d’attribution similaires à Content ID de YouTube pour tracer la musique exploitée.

  • Concentrer l’attention • DeepSeek vient de lancer DeepSeek-V3.2-Exp, modèle « expérimental » désigné comme une étape intermédiaire vers sa future architecture.  Il introduit un mécanisme appelé DeepSeek Sparse Attention (DSA) qui privilégie dynamiquement certains tokens dans des contextes très longs afin de réduire les coûts de calcul.  DeepSeek affirme une réduction de plus de 50 % des coûts d’inférence (et des tarifs API) tout en conservant des performances quasi identiques à celles de son prédécesseur V3.1-Terminus sur des benchmarks de raisonnement, codage et autres tâches.  Le modèle est publié en open source sur Hugging Face et GitHub, avec un soutien dès le lancement pour divers matériels, y compris des accélérateurs chinois comme Huawei Cann. 

EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNÉS :

• MÛRE DE DRONES • À Copenhague, les dirigeants européens ont acté la création d’un « Drone Wall » pour protéger le ciel de l’Union contre la guerre hybride russe. Mais l’Europe est-elle mûre pour tenir une promesse ambitieuse, mais semée d’embûches politiques, technologiques et militaires ?

• TRUMPERIE SUR LE CLIMAT • Près d’une entreprise sur deux intègre désormais l’IA à ses investissements climat, qui deviennent de plus en plus rentables. Mais alors que les résultats financiers progressent, le reporting des émissions recule, révélant une transition plus discrète que transparente.

• LA SANTÉ AVANT TOUT • Investir des milliards dans l’IA n’a de sens que si la technologie parvient à doper la productivité, rappelle Jim O’Neill, ancien ministre britannique des Finances. À défaut, cette révolution pourrait bien manquer sa cible, au moment même où santé et finances publiques exigent des gains d’efficacité tangibles.

Le mur de drones et l’envie d’Europe

Mercredi, le sommet européen de Copenhague a décidé de mesures conjointes pour renforcer la sécurité de l’Union contre la guerre hybride russe. L’Europe doit encore surmonter de nombreuses embûches, politiques, technologiques et militaires. Mais, sous l’aiguillon russe, elle commence à bouger.

Les dirigeants européens réunis à Copenhague cette semaine ont apporté un « large soutien » au projet de mur anti-drones de la Commission.  Annoncé pour la première fois par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union le 10 septembre dernier, le projet de « Drone Wall » européen vise à protéger le ciel des 27 contre les incursions d’aéronefs hostiles en provenance de la Russie. Elle a présenté ce plan dans le cadre d’une nouvelle initiative baptisée Eastern Flank Watch, destinée dans un premier temps, à ce que « pas un mouvement de troupes ne passe inaperçu » grâce à des moyens de surveillance autonomes, notamment spatiaux. La Commission présentera dans deux semaines une feuille de route destinée à être adoptée par un Conseil européen formel fin octobre.

Ceci n’est pas un mur

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

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Par QANT: IA et Technologies Émergentes

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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