CETTE SEMAINE DANS L'IA ET LES TECHS • X peut mettre le feu aux poudres entre l'Europe et les États-Unis • Gradium donne de la voix • AWS s'ouvre à GCP • Les plans souverains de Scaleway dans le quantique et l'IA • L'avenir des systèmes d'exploitation • Mustafa Suleyman : Pour une superintelligence humaniste • Bienvenue dans Qant, 8 décembre 2025.


« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » • Paul Virilio
Les illustrations de Qant, cette semaine, rendent humblement hommage au grand Mœbius (Jean Giraud, 1938-2012)
Vendredi, l’Europe a enfin imposé une amende à la plateforme X d’Elon Musk, marquant la première application du règlement européen sur les services numériques (DSA). La réaction ne s’est pas faite attendre, aussi officielle que belliqueuse. « L’amende infligée par la Commission européenne n’est pas seulement une attaque contre X, c’est une attaque contre (...) le peuple américain, perpétrée par des gouvernements étrangers » s’est exclamé le secrétaire d’État Marco Rubio, qui menace : « L’époque de la censure des Américains en ligne est révolue. »
Pourtant, il aura fallu deux ans d’atermoiements à la Commission pour sanctionner la tromperie qu’est devenu le système de vérification de Twitter après le rachat par Elon Musk, le manque de transparence publicitaire et les restrictions sur l’accès aux données, conçues pour masquer la désinformation et la manipulation algorithmique. Le montant, qui aurait pu atteindre 6 % du chiffre d’affaires, ne s’élève qu’à 120 millions d’euros. Ce dont xAI, qui a absorbé X en mars dernier, se souciera comme d’une guigne, trop occupée qu’elle est à lever 15 milliards de dollars sur une valorisation de 230 milliards (même si l’amende pourrait représenter 4% du chiffre d’affaires de l’ancienne Twitter, que certains estiment à 3 milliards de dollars à peine).
En revanche, les autorités américaines ne pouvaient rêver mieux pour appliquer la nouvelle National Security Strategy (NSS), qui donne des sueurs froides aux chancelleries européennes depuis sa parution vendredi. Elle accuse l’Europe, entre autres méfaits, de contraindre la liberté d’expression et réprimer les oppositions politiques.
La NSS est un document censé orienter les budgets de défense, mais elle sert avant tout de manifeste politique et de signal diplomatique. Pour la première fois, elle ne désigne ni la Russie ni la Chine comme des ennemis. En revanche, elle délègue la sécurité de leurs régions aux « alliés » en Europe et dans l'Indo-Pacifique, au titre du « burden sharing » et parfois du « burden shifting », le transfert du fardeau militaire. Et son ambition d’orienter leur comportement s’étend bien au-delà du réarmement.
La logique de protectorat atteint son apogée pour l'Amérique latine. Un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe est censé dissuader non seulement l’immigration et le trafic de drogue, mais aussi la propriété non-américaine des actifs-clé. Les États-Unis s’arrogent un droit de veto sur les investissements chinois en Amérique du Sud, tout en se déclarant prêts à employer la force pour se garantir l’accès aux lieux qu’ils désignent comme stratégiques.
En ce qui concerne l'Europe, il s’agit de la protéger d’elle-même et du grand remplacement. La NSS s’inquiète de l’immigration musulmane et se propose de « cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de [l’Union] au sein des nations européennes », afin de restaurer « la confiance de l’Europe dans sa civilisation, ainsi que son identité occidentale ». Elle confirme le soutien matériel et financier aux extrêmes-droites européennes, devenu une politique officielle des États-Unis depuis le discours de JD Vance en février à Munich et la publication cet été de The Need for Civilizational Allies in Europe sur un site du département d’Etat. (En France, une aide financière américaine au RN serait tombée sous le coup de la loi).
La tech et les standards technologiques, notamment dans l’IA, les biotechs et le quantique, sont cités par la NSS comme des instruments de ce nouvel impérialisme. « Les visites d'État du président Trump dans les pays du Golfe persique en mai 2025 ont démontré la puissance et l'attrait de la technologie américaine. Le président a ainsi obtenu le soutien des États du Golfe à la supériorité de l'intelligence artificielle américaine » explique la NSS. Elle fait référence, notamment, aux promesses d’investissements des Émirats Arabes Unis (1 400 milliards de dollars) et l’Arabie Saoudite (600 milliards). On sait par ailleurs que la famille Trump entretien des liens d’affaires étroits avec les deux pays.
Les tarifs douaniers ont eux aussi servi à extraire des promesses d’investissement : 600 milliards de dollars de l’Union européenne, 550 milliards du Japon, 350 milliards de la Corée. Pour cette dernière, l’accord signé fin octobre prévoit notamment 200 milliards de dollars en numéraire, à raison de 20 milliards par an, que Washington investira dans la tech : semi-conducteurs, batteries, biotechnologies, intelligence artificielle.
Le free cash flow dégagé par les investissements coréens sera empoché pour moitié par les États-Unis, jusqu’au remboursement du capital, puis à 90 %. Comme les réserves de change de la république de Corée s'élèvent à 430 milliards, pour l’essentiel en dollars, et le won a été fortement secoué, d’abord par la menace des tarifs, puis par l’ampleur du tribut accordé. Le chantage a eu pour résultat de faire fuir la Corée – vers les États-Unis.
La manœuvre des tarifs douaniers est aujourd’hui largement terminée et leur coût sur l’économie américaine commence à être clair. Cela rend la menace moins crédible et les reculades de Trump, de plus en plus nombreuses. En revanche, la tech peut prendre la relève.
Chacun, en Europe, a en tête les six juges et les trois procureurs de la Cour pénale internationale, coupés de leurs emails, de l’accès aux systèmes de paiement (Visa, Mastercard et American Express) et de tous leurs comptes auprès d’entreprises américaines (Amazon, Airbnb, Expedia, ChatGPT, Microsoft, Google, PayPal…), pour avoir émis un mandat d’arrêt international contre Benjamin Netanyahou. Aucun dirigeant européen ne pourrait contempler une telle perspective pour son économie.
La Commission a évidemment raison de sanctionner X. Sans doute, cet été, aurait-elle pu frapper un grand coup. Aujourd’hui, elle agite le chiffon rouge du DSA au moment où les États-Unis cherchent un moyen de pression pour que l’Europe accepte l’abandon de l’Ukraine.
…sera ravi de recueillir vos commentaires.
« Les entreprises étrangères correspondent à 25 % de la R&D privée en France, mais elles déposent 35 % des brevets » • L’Etat de la France, EMLyon
LE FAIT NOUVEAU : l’amorçage à la hauteur américaine • La startup parisienne Gradium a annoncé cette semaine une levée d'amorçage remarquable en France, de 60 millions d'euros. Elle a été menée par FirstMark Capital et Eurazeo, avec notamment la participation de Xavier Niel et d’Eric Schmidt. Les fondateurs, emmenés par Neil Zeghidour, sont issus de Google DeepMind, Google Brain et du laboratoire Fair, créé par Yann Le Cun chez Meta. Le laboratoire Kyutai, créé en novembre 2023 par Xavier Niel, Eric Schmidt et Rodolphe Saadé, a incubé l’aventure.
SOUS-ENTENDU : moshi moshi • Gradium valorise le modèle audio Moshi de Kyutai. Contrairement aux architectures vocales les plus courantes (reconnaissance vocale, traitement textuel, puis synthèse vocale), Moshi est un LLM audio natif : il traite le signal sonore comme une modalité première, sans le convertir en texte. Cette architecture speech-to-speech directe permet de réduire drastiquement la latence pour atteindre des temps de réponse proches du rythme naturel de la conversation humaine.
LEIT-MOTIV : garder l’émotion • L'approche de Gradium diverge des standards établis par Whisper (OpenAI), focalisé sur la transcription (speech-to-text), ou ElevenLabs, qui a émergé dans la synthèse vocale (text-to-speech). En traitant l'audio de bout en bout (speech-to-speech), Gradium évite la perte d'informations paralinguistiques, comme l'émotion ou l'ironie, lissées lors de la vectorisation textuelle.
EN FILIGRANE : une traction précoce • Gradium a réalisé ses premières ventes quelques semaines seulement après sa création en septembre 2025. Bien que le modèle Moshi soit open-source et open-weights, la technologie est, elle, propriétaire et fermée. Elle sera intégrée au sein de jeux vidéo, de services clients automatisés et d'applications d'apprentissage des langues.
À SURVEILLER : l’AMI de Yann Le Cun • La conférence AI Pulse du 4 décembre, où Gradium s’est lancée et Scaleway a illustré sa pile souveraine et quantique (lire ci-dessous), a surtout été marquée par Yann Le Cun. Le prix Turing français a évoqué les premiers détails de sa future startup, qui porte le nom de code AMI (Advanced Machine Intelligence). Elle se spécialise comme prévu dans les world models, en construisant sur l’expérience de la famille de modèles V-Jepa, créée chez Fair, le laboratoire que Yann Le Cun dirigeait chez Meta.
« L’engouement autour de l’IA commence à lasser. Je le comprends. Mais les enjeux sont aujourd’hui plus considérables que jamais. » • Mustafa Suleyman, Microsoft AI (lire-ci-dessous).
Programme :
8h30 – Round 1 : Risques et Opportunités pour l'investisseur global : Une analyse macro-économique des vecteurs de croissance et de risque.
Actions & Crédit : Comment arbitrer dans un environnement de taux incertain ?
Infrastructures : La course aux Data Centers est-elle soutenable ?
Géopolitique : Compétition US vs Chine, où se situe la valeur ?
Valorisation : Les niveaux actuels des "Magnificent Seven" sont-ils justifiés ?
Futur : Quelles ruptures technologiques (au-delà des LLM) surveiller dès maintenant ?
9h00 – Round 2 : Débat, animé par Jean Rognetta :
Le verdict : Bulle financière ou hyper-croissance justifiée ?
La carte mondiale : Quel rôle pour l'Europe face aux géants américains et asiatiques (Corée, Japon, Inde) ?
Les pépites cachées : Quels acteurs méconnus de la chaîne de valeur (hardware, énergie, services) faut-il suivre ?
L'horizon quantique : À quel horizon le Quantum Computing tiendra-t-il ses promesses, bouleversant la blockchain et la cybersécurité ?
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