L'odyssée d'Iliad dans l'IA ne fait que commencer

Pendant que Getty lance une IA à l'épreuve des procès, Iliad tente de faire entrer son cloud Scaleway dans le jeu de l'IA, mBridge se lance avec Tencent et la gouvernance de l'IA semble destinée à la plus grande diversité. Bienvenue dans Qant, mercredi 27 septembre.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022.

L’ÉVÉNEMENT

Getty poursuit la luciole

Après Firefly d’Adobe, Getty Images vient d'annoncer le lancement d'un outil permettant de générer des images par IA à partir de sa bibliothèque d'images. Des créations protégées par le droit d'auteur, alors que les procès pleuvent sur les géants de la tech.

"Une œuvre d'art protégée" (Midjourney)"Une œuvre d'art protégée" (Midjourney)

Getty Images vient de lancer "Generative AI by Getty Images", un outil de génération d’images entraîné à partir de la bibliothèque de Getty, l’une des plus grandes au monde. Cela permet à Getty de garantir le plein respect des droits d’auteur et l’indemnisation des ayants droit pour toute image créée et publiée commercialement. Les utilisateurs détiendront des droits perpétuels, mondiaux et illimités sur les images qu'ils créent, suivant la licence standard de Getty.

Désinformation et droit d’auteur

L’outil s'est avéré efficace pour produire des représentations réalistes, notamment des figures humaines. Toutefois, il possède des restrictions concernant les types d'images générables, dans la tentative d’éviter la manipulation et la désinformation, le détournement d'événements réels, la reproduction du style d'artistes vivants… Les images générées portent également un filigrane indiquant qu'elles sont créées par l'IA. Parallèlement, Getty envisage de permettre aux clients d'ajouter leurs propres données pour former le modèle dans un futur proche.

Generative AI by Getty Images a été développé sur la base de Picasso, un LLM créé par Nvidia (lire Qant du 23 mars). Pour des raisons de coûts, sans doute, le modèle n’a été entraîné que sur une portion des 477 millions d’images de Getty. Mais il se veut déjà une réponse à Firefly, le générateur d’images d’Adobe (lire Qant du 15 septembre), et surtout une solution au problème épineux du respect des droits d'auteurs dans l’IA générative.

La presse contre l’IA

En début d’année, Getty avait poursuivi en justice la start-up britannique Stability AI pour avoir entraîné son modèle Stable Diffusion avec des images appartenant à Getty, sans proposer de compensation (lire Qant du 8 février). Cela se rajoute aux nombreux procès intentés par des créateurs individuels, graphistes ou écrivains.

Côté texte, CNN et le Wall Street Journal avaient ouvert le feu dès cet hiver et menacé OpenAI d’un procès (lire Qant du 21 février). Rien ne s’en est ensuivi – sauf peut-être un accord en coulisses. En revanche, la plainte de Thomson Reuters, qui détient notamment l'agence de presse Reuters, contre Ross Intelligence débouchera bien sur un procès. Le groupe canadien accuse la start-up californienne d'avoir illégalement copié du contenu de sa plateforme de recherche juridique Westlaw pour entraîner une IA, depuis fermée. Le procès posera les précédents sur l'utilisation non autorisée de données pour former des systèmes IA.

Pour en savoir plus :

Microsoft, Google, Amazon, et moi et moi et moi…

Face aux investissements des géants américains dans les services cloud d’intelligence artificielle, les 200 millions d’euros annoncés hier par Iliad sont dérisoires. À moins d’une mobilisation soudaine, la révolution cognitive pourrait marquer un nouveau recul d’une souveraineté numérique déjà hypothétique.

"L'odyssée du robot" (Midjourney)"L'odyssée du robot" (Midjourney)

« On ne veut pas avoir la totalité de nos données hors d'Europe (…) Je n'ai pas envie que les algorithmes de mes enfants reposent sur des sociétés américaines ou chinoises » déclarait hier aux Échos le fondateur de Free et d’Iliad Xavier Niel, pour expliquer sa décision d’investir 200 millions d'euros dans l'intelligence artificielle, partagés entre un futur laboratoire de recherche à Paris, l’achat de puces Nvidia et des financements pour les start-up. L’effort est louable, mais il ne semble ni suffisant ni si désintéressé.

En achetant un Nvidia DGX SuperPod équipé de 1016 GPU Tensor Core H100, conçu pour le machine learning, Scaleway devient le premier fournisseur français de services cloud à prendre pied dans l'IA. Cette infrastructure, présentée comme le superordinateur le plus puissant d'Europe pour la recherche en IA, sera installée par Scaleway dans un data center près de Paris. L’ancienne Online SAS, filiale d’hébergement d’Iliad, pourra ainsi commencer à construire une alternative européenne aux services d’IA offerts par Microsoft Azure et Google Cloud Services, dans lesquels AWS a récemment pris pied en investissant dans Anthropic (lire Qant du 26 septembre). Sans être grand clerc, on peut prévoir que de semblables annonces viendront vite de la part d’OVH, d’Outscale, d’Orange Business Services, de Numspot… Le business du cloud souverain va devoir s’adapter aux nouvelles conditions de marché, et il aura du mal.

Voyage au pays des géants

Quand on les compare aux 11 milliards de dollars investis par Microsoft dans OpenAI et aux 4 milliards promis par Amazon à Anthropic, les 200 millions d’euros d’Iliad semblent dérisoires. Un groupe de 8,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui bénéficiait d’une capitalisation de quelque 7 milliards avant sa sortie de Bourse en 2021, aurait pu contempler un effort plus important s’il avait voulu se battre sur le marché international.

Si en revanche on rapporte l’annonce d’Iliad aux 500 millions d’euros d’investissements promis par le Président de la République avant l’été (lire Qant du 20 juin), la somme devient considérable. La moitié sera dédiée à un laboratoire de recherche indépendant à Paris, géré par une fondation à but non lucratif. Baptisé Sphère, il veut attirer notamment les ingénieurs français en IA expatriés dans de grandes entreprises technologiques à l'étranger, afin qu'ils puissent construire des produits IA concurrents d'OpenAI.

Xavier Niel, qui a investi dans Mistral AI et Poolside AI, les deux principales start-up d’IA actives en France, a montré avec Station F qu’il sait dynamiser un écosystème. Le retard européen dans les investissements en intelligence artificielle est cependant abyssal. Avant même l’engouement de 2023, les start-up américaines avaient investi plus de 300 milliards de dollars ; les européennes, moins de 30 milliards.

Les investissements du capital-risque en IA dans le monde. Source : Preqin/BloombergLes investissements du capital-risque en IA dans le monde. Source : Preqin/Bloomberg

Le fossé s’est encore creusé cette année. On n’a pas relevé en France, hier, la nouvelle valorisation d’OpenAI : selon le Wall Street Journal, la société s’apprête à vendre de nouveau des actions aux principaux VCs de Silicon Valley, cette fois sur une valeur d’entreprise comprise entre 80 milliards et 90 milliards de dollars. Ce printemps, elle avait ainsi consolidé la valeur de quelque 30 milliards de dollars que lui attribuait le dernier investissement de Microsoft, qui au total détient 49% de la société (lire Qant du 3 mai).

Pour que l'Europe puisse perturber le jeu des grandes sociétés dans l'IA, il faudra un peu plus que 200 millions d’euros.

Pour en savoir plus :

L’ESSENTIEL : Binance, Getty, Google, Kneron, Knightscope, mBridge, MIT, Nasa, Spotify, Valve

ROBOTS

Un robot dans le métro

A New-York, un robot patrouillera dans la station de Times Square. Contrairement à Robocop, K5 est inoffensif: il servira surtout de caméra mobile, avec une valeur dissuasive.

Le maire de New York, Eric Adams, a dévoilé K5, un robot policier, qui patrouillera dans la station de métro de Times Square entre minuit et 6 heures du matin pendant deux mois dans le cadre d'un programme pilote. Créé par la société californienne Knightscope, K5 pèse environ 190 kilos, mesure environ 1,60 mètre, se déplace à une vitesse maximale de 5 km/h et possède une vue à 360 degrés pour enregistrer uniquement des vidéos, sans utiliser de technologie de reconnaissance faciale. Le robot, qui servira de "caméra mobile", ne patrouillera que dans certains niveaux de la station.

Pour en savoir plus :

IA

  • Kneron se voit en concurrent de Nvidia : Une startup américaine spécialisée dans les semi-conducteurs, Kneron, a annoncé avoir levé 49 millions de dollars supplémentaires pour commercialiser ses puces d'intelligence artificielle. Parmi les investisseurs de ce tour de financement figurent le géant taïwanais Foxconn, qui assemble les iPhones d'Apple, et la société technologique de communication Alltek.
    Pour en savoir plus: Tech Crunch

  • Des cours de GenAI par Google : Google a lancé des cours de formation en IA générative gratuits et payants sur la plateforme Cloud Skills Boost. L'option "Introduction à l'IA générative" est par exemple une initiation non technique adaptée aux rôles de vente, de marketing et de ressources humaines, tandis que l'option "IA générative pour les développeurs" propose des laboratoires et des cours pratiques destinés aux développeurs de logiciels et aux ingénieurs.
    Pour en savoir plus: Search Engine Journal

  • L’IA rejoue le film à Göteborg : Le Göteborg Film Festival a annoncé une restauration assistée par IA du film dramatique d'Ingmar Bergman "Persona". Cette version générée par IA verra le visage de Liv Ullmann, qui joue Elisabet Vogler, remplacé numériquement par celui d'Alma Pöysti. Intitulé "Another Persona", ce projet est décrit comme une "expérience cinématographique". Il sera projeté exclusivement lors du Göteborg Film Festival 2024, suivi d'une discussion sur le jeu d'acteur et la technologie.
    Pour en savoir plus: Deadline

  • Spotify préfigure la fin du doublage : Spotify vient de dévoiler une nouvelle fonctionnalité alimentée par l'intelligence artificielle qui permet de traduire des podcasts dans différentes langues en utilisant la voix de l'animateur. Cette technologie, basée sur la technologie de génération vocale d'OpenAI, peut créer des "voix synthétiques réalistes" à partir de quelques secondes de parole. Son extension vers le doublage cinématographique semble couler de source.
    Pour en savoir plus: CNBC

BLOCKCHAINS

  • mBridge, un pont en Asie pour les paiements en CDBC : La plateforme mBridge, dédiée aux paiements transfrontaliers en monnaie numérique de banque centrale (CBDC), se prépare à être lancée très prochainement, selon Eddie Yue, qui gouverne la Hong Kong Monetary Authority (HKMA). Les autres banques centrales participantes sont la Chine, la Thaïlande et les Émirats Arabes Unis. Le lancement envisagé, considéré comme un produit viable minimal, a pour objectif la commercialisation progressive de mBridge, qui promet des paiements plus rapides, moins chers et plus transparents. Tencent, propriétaire de WeChat Pay et de l'application WeChat, participe à mBridge.
    Pour en savoir plus: Ledger Insights, Coin Telegraph

  • Un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour la blockchain : La Nasa a l'intention de prouver l'authenticité de son prochain atterrissage sur la Lune grâce à la technologie blockchain, selon la BBC. En collaboration avec Lonestar, une start-up basée en Floride, la Nasa enverra un chargement sur la Lune contenant des "data cubes" en février 2024.
    Pour en savoir plus: Coin Telegraph

  • Binance veut des stablecoins au Japon : Binance Japan et le géant bancaire Mitsubishi UFJ ont annoncé leur collaboration pour l'émission de stablecoins adossés au yen japonais et d'autres monnaies. La mise en service est prévue pour la fin de 2024.
    Pour en savoir plus: Bloomberg

AR-VR-XR

  • Lancement surprise pour SteamVR 2.0 : Après une longue période de silence sur la réalité virtuelle, le studio américain Valve a présenté une version bêta de SteamVR 2.0, une mise à jour majeure de sa plateforme de contenus en réalité virtuelle. Cette mise à jour amène la plupart des caractéristiques actuelles de Steam et Steam Deck dans SteamVR, y compris les chats, les chats vocaux, et une version moderne de la boutique Steam et de la bibliothèque, ainsi qu'un clavier mis à jour.
    Pour en savoir plus: The Verge

QUANTUM

  • Transmon, un circuit pour améliorer la précision du calcul quantique : Des chercheurs du MIT ont développé un nouveau circuit pour améliorer la précision du calcul quantique en utilisant un type de qubit superconducteur appelé fluxonium. Avec cette architecture, ils ont obtenu une précision de 99,99 % avec une porte à un qubit et de 99,9 % avec une porte à deux qubits. Cette architecture réduit les interactions indésirables pendant le calcul, offrant ainsi une meilleure fidélité des opérations.
    Pour en savoir plus: Physical Review, Interesting Engineering

EXPERT : Anu Bradford, Columbia

A qui appartient la révolution de l’IA ?

"Anu Bradford vue par Midjourney""Anu Bradford vue par Midjourney"

Les gouvernements du monde entier réfléchissent à la meilleure façon de réglementer l’IA. Des divergences apparaissent déjà. En l'absence d'un modèle universel unique, la gouvernance de cette technologie en pleine mutation ne manquera pas d'être contestée.

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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