Le message sans les médias

ÉDITORIAL. Les annonces d'IA de la semaine dernière menacent les journaux et les médias, mais pas seulement.

« En réalité et en pratique, le vrai message, c'est le média lui-même, c'est-à-dire, tout simplement, que les effets d'un média sur l'individu ou sur la société dépendent du changement d'échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie »  Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l'homme, Seuil, 1968

 Nous y sommes presque. La semaine dernière, OpenAI et Google ont présenté, chacune, l’embryon d’un agent multimodal intelligent : l’IA qui succèdera, dans un an ou deux, à l’IA générative.

Certes, la live demo d’OpenAI n’a duré, prudemment, que 25 minutes. Elle ne mettait directement en jeu que la directrice technique, le très médiatique Sam Altman restant pour une fois en retrait. Et le nouveau ChatGPT semble excessivement inspiré de Scarlett Johansson dans le film Her, transformée pour l’occasion en une sorte de maîtresse d’école nouvelle manière, dont les compliments excessifs et constants cachent mal la condescendance.

Amazing! (Qant avec GPT-4, sans demande de style)Amazing! (Qant avec GPT-4, sans demande de style)

Certes, le Project Astra que Google a présenté en réponse à OpenAI n’est aujourd’hui qu’une vidéo tournée dans un bureau, la forme ultime de vapourware, ce « vaporiciel » qui précède le logiciel et le matériel. Et une IA n’a pas besoin d’être si grand clerc pour vous indiquer dans quel quartier de Londres sont situés vos bureaux. Mais, tout de même…

À la voix et à la baguette magique

Bientôt, à partir de l’an prochain mettons, l’utilisation d’un téléphone se fera à la voix autant qu’au doigt (ou à la souris, ou au Pencil de l’iPad, ou à n’importe quel dispositif de pointage). L’IA au sein de votre téléphone pourra répondre à vos questions, effectuer vos recherches sur Internet, commander vos courses, vous appeler une voiture ou vous réserver une place dans un train ou un avion. 

Il vous faudra bien sûr préciser le budget des courses et l’heure de livraison, la destination et l’heure du déplacement. Cela fait, l’IA pourra contrôler qu’il n’y ait pas d’autres engagements dans votre agenda, puis engager une sorte de micro-appel d’offres entre fournisseurs comme il en existe déjà en matière de publicité « programmatique » (à moins que, patriote que vous êtes, vous ne lui indiquiez que vous préférez Carrefour à Amazon et la G7 à Uber). L’IA reviendra sans doute vers vous avant d’engager le paiement à votre place, mais toute la mécanique numérico-informatique qui s’intercale aujourd’hui entre le désir et le paiement pourra disparaître sous le capot de votre téléphone.

Les Grandes Manœuvres

OpenAI s'introduit dans la rivalité entre Apple et Google (Qant avec GPT-4o, dans le style des Grandes Manœuvres)OpenAI s'introduit dans la rivalité entre Apple et Google (Qant avec GPT-4o, dans le style des Grandes Manœuvres)

Sous le nom de « AI assistant », une nouvelle interface homme-machine est ainsi en train de naître. Le monde numérique disparaîtra bien sûr très progressivement. Les tablettes et les téléphones n’ont pas encore remplacé les ordinateurs. Mais cette semaine, Windows et MacOS/iOS ont pris le chemin de la ligne de commande (encore disponible sur votre ordinateur, en cherchant bien). 

Cela explique les grandes manœuvres en cours, notamment l’alliance probable entre Apple et, via OpenAI, Microsoft. L’intégration à iOS de ChatGPT peut changer d’un ordre de grandeur ou deux le nombre de ses utilisateurs, qui plafonne à 100 millions par mois. Cela permettrait à Microsoft de viser une autre échelle pour sa division de services cloud, Azure. Le tout aux frais d’Apple, qui paiera ainsi son retard face à Google. Si pareil accord arrive à bon port, il pourra avoir l’effet a priori bénéfique de desserrer les quasi-monopoles de Google sur le Web et de Meta sur les réseaux sociaux. Mais…

Le Silence des Médias

L'évolution des technologies réduit les médias au silence (Qant avec GPT-4o, dans le style du Silence des Agneaux)L'évolution des technologies réduit les médias au silence (Qant avec GPT-4o, dans le style du Silence des Agneaux)

De son côté, Google a commencé à déployer aux États-Unis ses services de recherche générative. Le changement de modèle économique qui s’amorce tourne le géant vers des services payants, comme l’abonnement à Gemini Advanced, plutôt que la publicité et la génération de trafic. Cela provoque de nouveaux accès de panique chez tous les éditeurs de contenu numérique, dont la presse et les médias.

Meta a déjà prouvé, au Canada notamment, que les réseaux sociaux peuvent se passer des médias et, sinon les réduire au silence, du moins les marginaliser. Au-delà des considérations de droits d’auteur, l’IA semble destinée à aggraver le phénomène.

Dans le monde de McLuhan, au siècle dernier, le média l’emportait sur le message : être lecteur du Figaro ou de Libération en disait plus long sur vous que ce que vous y lisiez en réalité. Dans le monde qui se dessine, ce siècle-ci, on imagine mal votre assistant d’IA vous donner les nouvelles du jour en vous précisant : « D’après le journal Le Monde (...) pour en savoir plus cliquez ici.» 

Mais… on ne voit pas se dessiner d’alternative. Seul Elon Musk semble imaginer que l’on choisira son IA en fonction de ses opinions politiques.

Plus de sentiments, moins de liberté

La Gaule du futur (Qant avec GPT-4o, dans le style d'Asterix le Gaulois) La Gaule du futur (Qant avec GPT-4o, dans le style d'Asterix le Gaulois) 

De votre téléphone, l’assistant IA se retrouvera sans effort dans tous vos appareils numériques, de la montre à l’ordinateur. C’est déjà sur votre compte Apple ou Google, et non sur la clef matérielle d’accès au service, que se forme le lien d’identité numérique. 

Et peut-être désormais le lien tout court. Déjà, le nouveau ChatGPT peut effectuer une analyse de sentiments sur le ton de voix et l’expression du visage de son utilisateur, pour proposer par exemple un soutien pédagogique. Demain, la machine pourra gérer tout l’aspect émotionnel de ses interactions. 

La nécessité sans le hasard

Nul besoin de donner aux assistants d’IA l’apparence de Scarlett Johansson, comme dans le film Her, car la technologie est infiniment personnalisable. L’accès aux services d’IA s’imposera de lui-même, comme une nécessité.

Pour votre sécurité. En analysant en permanence votre correspondance et vos conversations, elle permettra de les sécuriser. Google l’a montré mardi : Gemini Nano peut générer une alerte sur une fraude au faux conseiller bancaire pendant la conversation et vous en avertir avant que vous ne tombiez dans le panneau. 

Pour votre santé. Mieux qu’une infirmière, votre assistant pourra surveiller en permanence vos paramètres de santé, votre alimentation, votre activité sportive. Il pourra vous inciter en permanence à boire et manger avec plus de modération, à prendre plus d’exercice, à mener une vie plus saine, à vous construire un corps plus californien.

Et il pourra de lui-même prévenir un médecin et appeler une ambulance en cas d’urgence.

Pour votre information et votre culture, mais aussi pour distinguer le bien du mal et le vrai du faux. Mieux que vos parents, votre assistant pourra surveiller en permanence votre consommation de films pornographiques, de fake news et de médias douteux.

Peu importe que l’homme de Vitruve par Léonard de Vinci ait un pénis et que celui qu’on a fait générer à ChatGPT pour cette lettre dominicale ne puisse pas en avoir ! Foin de ces petits détails de “factualité”, dont on reparlera sans doute souvent dans Qant. Pour combattre la pédophilie et les manipulations propagandistes, votre IA continuera de mettre des feuilles de vigne aux statues grecques ; elle vous incitera à une consommation culturelle plus saine, à vous construire un esprit plus californien.

Ou elle pourra en avertir qui de droit.

Jean Rognetta

Merci d’être abonné à Qant ! Vos analyses et commentaires sont toujours plus que les bienvenus.Merci d’être abonné à Qant ! Vos analyses et commentaires sont toujours plus que les bienvenus.


Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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