Le champion européen et l’homme le plus riche du monde

CETTE SEMAINE DANS L'IA • L'investissement d'ASML dans Mistral pose les bases d'un champion européen de l'IA • L'enthousiasme boursier pour Oracle signale que l'éclatement de la bulle IA se rapproche • Anthropic fait face au droit d'auteur • Le soft power de l'IA • Bienvenue dans Qant, samedi 13 septembre 2025.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chères lectrices, chers lecteurs,

À la demande de certains d’entre vous, Qant vous sera désormais routée tous les samedis matin, avec des dossiers d’approfondissement de plus en plus fournis, afin que vous puissiez mieux profiter des pistes de réflexion que nous tâchons de vous offrir. Le premier numéro de Qant Finance vous sera envoyé lundi 29, suivi de Qant Robots.

Cette semaine, nous vous proposons trois dossiers et une alerte. Il nous semble en effet que l’éclatement de la bulle boursière se rapproche, avec des conséquences lourdes pour l’économie américaine et potentiellement funestes pour l’administration Trump. Cette éventualité rend d’autant plus urgente la constitution d’un champion européen de l’IA, autour du triangle ASML-Helsing-Mistral, qui puisse faire face au reflux des enthousiasmes : la fin de la bulle Internet, en 2000, a été fatal pour les Européens alors qu’il n’a que retardé les start-up américaines. Avec Électron Libre et Project Syndicate, nous revenons aussi sur le problème du droit d’auteur, qui menace tous les grands modèles, et sur la tech diplomacy. Sur simple demande, nous pouvons organiser des boucles Teams pour discuter des sujets de la semaine.

Jean Rognetta

PS. Cette semaine, les illustrations de Qant rendent hommage à l’artiste constructiviste El Lissitzky (1890-1941). Suggérez-nous l’artiste de la semaine prochaine !

J. R.

La French Connection

L’investissement d’ASML dans Mistral est un triomphe pour l’influence de Bruno Le Maire. Avec Helsing, se forme ainsi l’embryon d’un Airbus européen de l’IA.

  • Milliard néerlandais. Mistral AI boucle un tour de 1,7 milliard d’euros, mené par ASML qui investit 1,3 Md€ pour ≈ 11 % du capital. La valorisation ressort à 11,7 Md€. Des chiffres exceptionnels en Europe, qui n’a guère investi qu’une dizaine de milliards d’euros dans les start-up d’IA en 2024.

  • IA et lithographie. L’accord prévoit un siège au comité stratégique pour le CFO d’ASML, Roger Dassen, et un partenariat industriel pour utiliser les modèles de Mistral dans l’ingénierie et les opérations d’ASM, dont les machines pour la lithogravure EUV (extrême ultraviolet) sont essentielles pour la production de GPU.

  • Traction souveraine. Côté défense, Mistral et l’allemande Helsing (levées récentes : 450 M€ en 2024, 600 M€ en 2025 ; valo ≈ 12 Md€) co‑développent des modèles vision‑langage‑action destinés aux forces européennes. Côté civil, Mistral a signé avec CMA CGM un accord de 100 M€ sur cinq ans. Le positionnement est net : B2B souverain, contrats pluriannuels, intégration on‑prem/cloud UE.

  • EN FILIGRANE : La French Connection. Bruno Le Maire, quand il était ministre de l’Économie et des Finances, avait présenté une vision souple, pour créer un champion de l’IA non par une structure unique, mais par un consortium décentralisé. Or, « BLM » est devenu en 2024 conseiller spécial auprès du CEO d’ASML, le Français Christophe Fouquet. Et l’unn des lieutenants de Bruno Le Maire, Cédric O (ex-secrétaire d’État au numérique), siège au conseil d’administration de Mistral.

  • À SURVEILLER : Facteurs de succès. Pour qu’un champion mondial puisse émerger de cette triple alliance, de nombreux problèmes doivent être résolus en Europe : la puissance de calcul, l’accès au capital, la diplomatie tech avec l’imprévisible allié américain… Mais précisément : la nécessité de ne plus se reposer sur les États-Unis rend essentiel un champion européen qui puisse au moins servir les secteurs B2B souverains (défense, énergie, logistique, secteur public) où la sensibilité des données et les niveaux de service (SLA) priment sur le “tout‑venant” grand public. Nous examinons en détail les chances de son émergence dans le dossier en fin de lettre.

La Bulle et le Milliardaire

Le titre Oracle s’est envolé cette semaine, dopé par un méga-contrat avec OpenAI de 300 milliards de dollars sur cinq ans, propulsant Larry Ellison momentanément au-dessus de la fortune d’Elon Musk. La ruée vers les investissements en infrastructure IA et l’envolée des titres tech et énergie semble préluder à l’éclatement de la bulle.

  • Point de bascule • OpenAI a rendu public en début de semaine qu’elle avait conclu avec Oracle un contrat historique : acheter pour 300 milliards USD de capacité de calcul sur cinq ans, à compter de 2027. 

  • Engouement • À la suite de l’annonce, l’action Oracle a crû de plus de 35 % % en une séance. Grâce à ce pic, Larry Ellison a vu sa fortune grimper de près de 100 milliards de dollars, pour frôler les 400 milliards, ce qui l’a fait dépasser brièvement Elon Musk comme l’homme le plus riche du monde. Les entreprises énergétiques susceptibles de fournir l’électricité nécessaire à ces futures infrastructures profitent aussi du vent en poupe.

  • Explosion des coûts • Ce contrat gargantuesque entraîne des besoins massifs en électricité (plusieurs GW), en matériel et en eau, ce qui suppose des investissements lourds, sans compter que la dépendance à un énorme client comme OpenAI soulève des questions de concentration de risque. Pour sa part, OpenAI prévoit désormais de brûler 115 milliards de dollars d’ici 2029, soit 80 milliards de plus que prévu initialement, reflétant les investissements massifs dans les nouveaux modèles.

  • EN FILIGRANE : Le pic de l’euphorie • Le bond des actions d’Oracle a été déclenché par une annonce commerciale informelle, omise des documents officiels, de bourse qui prévoit une augmentation phénoménale à long terme de la demande par des sociétés que seule une injection continue de capital rend solvable. Les principales start-up, OpenAI, Anthropic et xAI, qui ont levé plusieurs plus de 60 milliards de dollars cette année sur une valorisation combinée proche de 600 milliards, resteront longtemps déficitaires – tout comme, sans doute, les activités d’IA noyées dans les comptes de Big Tech. Or, les grandes entreprises technologiques américaines prévoient de dépenser près de 400 milliards de dollars en 2025 pour l’infrastructure nécessaire à l’intelligence artificielle ; au total, les investissements mondiaux dans les centres de données pourraient dépasser 3 000 milliards d’ici 2028. La bulle pourra durer encore quelques mois, peut-être un an ou deux, mais elle aura explosé avant.

  • À SURVEILLER : Le dernier espoir de Trump • La frénésie autour de l’IA aurait contribué à 40 % de la croissance du PIB américain sur l’année écoulée. En tout cas, elle seule protège encore Trump des conséquences de sa politique : aux États-Unis, la création d’emplois s’arrête et l’inflation repart, sous l’effet des tarifs douaniers. Or, la tech pèse plus du tiers de la capitalisation de la bourse américaine (34 % du S&P 500, par exemple). L’explosion de la bulle aura un effet destructeur sur une économie américaine affaiblie. 

Le CFO augmenté

Mardi 16 septembre, 08h30, Paris: tout sur l’évolution de la fonction Finance de l’entreprise, de la digitalisation aux agents d’IA.

Qant est heureux de vous inviter à son prochain petit-déjeuner IA, en partenariat avec le Cercle IA et Finance. Nous vous invitons à vous inscrire via ce lien, en utilisant le code de gratuité QANT09.

Dans l’entreprise, le machine learning et la digitalisation ont libéré les directions administratives et financières des tâches les plus répétitives. L’IA générative et les agents d’IA promettent d’aller plus loin, à condition d’encadrer leur autonomie opérationnelle. Le défi est moins technologique qu’humain : repenser la gouvernance, les compétences et la confiance pour transformer le CFO en chef d’orchestre d’un écosystème d’agents IA, qui pourront combiner planification, perception et action. Un exemple qui pourra s’appliquer à bien d’autres fonctions de l’entreprise.

08h00 : Petit-déjeuner à l’hôtel de Bourrienne, 58 d’Hauteville, 75010 Paris

08h30 : Le financement de l’IA en France

  • Olivier Martret, Serena Capital

  • Morgan Hunault-Berret, Villechenon et Associés

09h10 : La fonction finance, de la digitalisation à l’intelligence artificielle

  • Marie-Hélène Pebayle, présidente de la DFCG et DAF de Le Pain de Belledonne

09h20 : L’évolution de la fonction finance face à l’IA

  • Sylvie Ouziel – cofondatrice et CEO, Blue Bridge

  • Laura Pallier cofondatrice, Allia

  • Mathieu Staat directeur des practices IA & Data et Omnicanal & E-commerce, Think Market

09h55 : Le CFO augmenté : compétences et création de valeur à l’ère de l’IA

  • Jean-Daniel Guyot – cofondateur et président du conseil d'administration de Memo Bank, membre de l’AFTE

  • Véronique Hillen – associée Data Strategy & Experience Design, Deloitte France

  • Patricia Mavigner CFO, Thermador Groupe

    10h30 : FIN

AI Act, Descartes Underwriting, Jupiter, OCH, Women for Quantum

Les points clés de l’actualité de la semaine sur l’IA et les techs émergentes.

  • Descartes et les Licornes • Descartes Underwriting a remporté cette semaine le grand prix 2025 des Futures Licornes, remis chaque année en partenariat avec Qant. Cette insurtech française utilise l’intelligence artificielle, l’imagerie satellite et la donnée en temps réel pour modéliser, anticiper et gérer les sinistres complexes. Elle s’est ainsi spécialisée dans l’assurance paramétrique pour les entreprises et institutions, axée sur les risques climatiques (tempêtes, inondations, grêle, sécheresse, feux de forêt…) et émergents comme les cyberattaques. Son dernier tour de table, de 120 millions de dollars en série B, remonte à janvier 2022 et des sources de marché lui attribuent un ARR de plus de 40 millions. Parmi les autres projets distingués par le prix cette année, les robots médicaux de Moon Surgical, la constellation de nanosatellites d’Unseen Labs, et les qubits félins d’Alice & Bob.

  • L’IA sortira de la cuisse de Jupiter • L’Europe vient d’inaugurer Jupiter, son premier supercalculateur exascale, installé au Forschungszentrum Jülich en Allemagne et conçu par Eviden (Atos) pour l’initiative EuroHPC. Capable de dépasser un exaflop, il combine deux modules : un module Booster basé sur des GPU Nvidia Grace Hopper GH200 et un module Cluster reposant sur les processeurs Rhea1 de la française SiPearl, fondés sur l’architecture ARM Neoverse V1 avec mémoire HBM2E. Jupiter doit soutenir la recherche en climat, IA, modélisation et calcul intensif, marquant une étape dans l’autonomie technologique européenne.

  • Tous les gardiens de l’IA • La France a désigné les autorités compétentes pour veiller à l’application de l’AI Act (règlement européen sur l’intelligence artificielle) selon une logique d’expertise sectorielle : quand une entreprise est déjà régulée dans un certain domaine, c’est souvent son régulateur habituel qui prendra en charge l’application de l’AI Act dans ce domaine. La DGCCRF est le point de contact national unique en matière de surveillance du marché (article 70.2 du règlement), elle coordonnera les autorités de surveillance sectorielles françaises et représente la France à l’échelle européenne sur ces questions.  La CNIL assure le contrôle du respect des interdictions les plus sensibles de l’article 5 du règlement (notamment : police prédictive, reconnaissance faciale non ciblée, inférence des émotions au travail ou dans les établissements d’enseignement, catégorisation biométrique, identification biométrique à distance en temps réel à des fins répressives). L’Arcom est aussi mobilisée, mais dans des domaines précis, notamment pour les pratiques interdites qui relèvent de la communication audiovisuelle ou dans les usages relatifs à la génération de contenus.  Le Défenseur des droits intervient plus spécifiquement pour la protection des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination. En vertu de l’article 77 de l’AI Act, il fait partie des organismes nationaux publics chargés de la protection des droits fondamentaux pour les systèmes à haut risque. 

  • Sauts quantiques chez OVH • OVHcloud met en production un processeur quantique, Pasqal Orion Beta (100 qubits) accessible en mode QaaS dès septembre, avec l’ambition d’offrir 3 QPU d’ici fin 2025 et 8 d’ici fin 2027, dont 7 seront européens. Par ailleurs, OVHcloud propose 8 émulateurs quantiques sur sa plateforme et propose le photonic quantum computer MosaiQ de Quandela, à disposition des startups et étudiants.

  • Ne dites rien à la Maison-Blanche • Après deux ans de préparation, le 17 septembre 2025 se lancera à la Sorbonne l’association Women for Quantum (W4Q), cofondée par des physiciennes d’Europe et du Japon, travaillant dans les domaines de la physique atomique, moléculaire et optique (AMO), de la physique quantique à plusieurs corps, et de l’information quantique. W4Q entend lutter contre la faible représentation des femmes dans les corps enseignants et de recherche, l’inégalité de rémunération et la sur-sollicitation dans les comités, et défendre des principes tels que le respect, la liberté d’expression, la collaboration internationale...  Le réseau se veut international, mais le communiqué de lancement et le manifeste ne mentionnent pas de cofondatrices américaines. L’association met plutôt l’accent sur une structuration Europe–Asie, avec Paris comme point d’ancrage pour l’inauguration.

EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNÉS :

DOSSIER : L’ÉCOSYSTÈME IA EUROPÉEN. Le trio de tête de l’IA européenne est désormais clair : ASML, Helsing et Mistral partagent des actionnaires et des accords. Un noyau dur européen se forme, mais l’Europe a-t-elle enfin l’architecture d’un champion mondial ?
ANALYSE : DROIT D’AUTEUR. Anthropic paiera au moins 1,5 milliard pour son utilisation de livres piratés pour entraîner Claude. Un pas en avant majeur, mais les grandes questions juridiques sur l’IA et le droit d’auteur demeurent.
• OPINION : L’ÈRE DU SOFT POWER DE L’IA. Au-delà du duel sino-américain, la course n’est plus au “tout-puissant” unique, mais à l’adoption mondiale des outils les plus utiles et fiables. De DeepSeek à Llama, l’influence passera par les modèles que les États et entreprises choisiront d’embrasser.

Airbus, Galileo… Mistral ?

L’investissement d’ASML dans Mistral, déjà l’allié de Helsing, préfigure un Airbus européen de l’IA. Dans ce dossier complet, nous vous proposons une analyse approfondie de l’écosystème d’IA sur le Vieux Continent, et des chances de voir réellement naître un champion européen de l’IA.

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: IA et Technologies Émergentes

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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