Alors que la peur de l'IA continue de paralyser Hollywood, on s'inquiète à Washington que le sommet des Brics dans deux semaines lance un mouvement de dédollarisation appuyé sur la monnaie numérique. Pendant ce temps, l'actualité continue de faire rage dans l'IA. Bienvenue dans Qant, vendredi 11 août.
« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio
Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Pour cela, ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022. Les articles qui requièrent le plus de travail humain demandent un abonnement.
Mercredi 9 août, la grève des scénaristes à Hollywood, rejoints par les acteurs, a atteint le cap symbolique des cent jours. C’est le temps qu’avait duré la grève des scénaristes en 2007-2008, avec un impact économique estimé à plus de deux milliards de dollars. Et cette fois, aucune issue ne semble envisageable. Pire, pour les studios : les acteurs ont également rejoint le mouvement, portant des revendications similaires. D’un côté comme de l’autre, l’inquiétude est la même : le développement de l’IA vient menacer la nature et la pérennité de leurs emplois.
Leurs craintes s’appuient notamment sur la multiplication des films réalisés par IA, preuve des progrès fulgurants réalisés en la matière ces derniers mois. En décembre 2022, quelques semaines seulement après la sortie de ChatGPT pour le grand public, The Safe Zone, premier film écrit et dirigé par l'IA, était présenté par 28 Squared Studios et Moon Ventures. Le chatbot d'OpenAI avait été utilisé pour l'écriture, le scénario et la mise en scène de ce film dépeignant un futur dystopique où l'IA domine le monde.
The Safe Zone, le premier court-métrage écrit et dirigé avec ChatGPT
Début août, le dialogue a repris entre les studios d’un côté, et les scénaristes et acteurs de l’autre. Une réunion qui n’a finalement abouti à rien de probant selon les deux parties, ce qui semble préluder à un enlisement de la situation. L'IA est déjà utilisée dans la production cinématographique, notamment les effets spéciaux, mais son utilisation future élargie semble inévitable. Les scénaristes veulent s’assurer que leur travail reste protégé et que l'IA ne sera pas utilisée pour la création de scénarios ou de dialogues, du moins sans intervention humaine. Les acteurs et les doubleurs craignent eux de perdre le contrôle sur l'utilisation de leurs images et de leurs voix, à partir du moment où des modèles numériques sont réalisés. La technologie pour transformer des acteurs réels en avatars virtuels ne cesse de s’améliorer.
En juin, Waymark a présenté The Frost, un court-métrage entièrement réalisé grâce à Dall-e 2 (lire Qant du 7 juin). La technologie est devenue assez mature pour libérer la créativité, par exemple de l’acteur Justin Hackney :
“Le carnaval des âges”, un court-métrage produit par Justin Hackney grâce à Dall-e, Midjourney et Runway Gen-2.
Mais pour l’industrie elle-même, l’IA soulève ainsi des préoccupations quant à la manière dont elle pourrait remplacer ou réduire les rôles des acteurs. Rogue One: A Star Wars Story de Disney a utilisé un acteur décédé, Peter Cushing, avec l’accord de ces héritiers. La série Ted Lasso, sur Appel TV, a rempli un stage de figurants générés par l’IA.
Sag-Aftra, le syndicat des acteurs, craint que les studios n'utilisent abusivement les répliques numériques des acteurs sans une compensation adéquate. Il veut garantir un consentement éclairé et une rémunération équitable pour l'utilisation de ces avatars. Duncan Crabtree-Ireland, négociateur en chef du syndicat, avait dévoilé en juillet dernier une proposition des studios suggérant que les acteurs soient numérisés pour une journée de salaire et que les studios détiennent ensuite ces numérisations pour une utilisation éternelle sans consentement ni compensation supplémentaire. L'Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP) a réfuté cette allégation, précisant que l'utilisation de répliques numériques serait limitée au projet pour lequel l'acteur est employé.
Dans ce qui est peut-être le chef-d’œeuvre d’un genre naissant, pour l’instant, un court-métrage reprend la biographie imaginaire du frère d’Alan Smithee, le pseudonyme utilisé depuis 1955 par les réalisateurs mécontents de leur film, et privés du final cut par les studios. Bob Smithee, lui, a travaillé sur tous les grands films qui n’ont jamais vu le jour : le Don Quixote d’Orson Welles, le Napoléon de Kubrick, Le Siège de Leningrad de Sergio Leone, Le voyage de G. Mastorna de Federico Fellini…
AI Generated Documentary | Bob Smithee Video: Runway Gen-2 Beta - Images: OpenAI Dall-e 2 - Text: GPT-4 - Voice: Synthesia
Certains experts en droits d'auteur craignent que les acteurs moins connus soient désavantagés dans les négociations. Ce ne serait pas la première fois, tout comme pour les scénaristes. Le mouvement a débuté quand, le 2 mai, plus de 11 000 scénaristes de films et de télévision se sont mis en grève, le principal point de discorde étant l'intégration de l'intelligence artificielle dans leur métier. La Writers Guild of America a exigé des normes réglementaires pour garantir des conditions de travail équitables et une rémunération adéquate face à une technologie considérée comme “perturbatrice”.
On peut le dire.
Pour en savoir plus :
Les médias contre-attaquent : L’AFP, Associated Press et huit autres organisations médiatiques comme Gannett (USA Today) ou Getty Images viennent de publier une lettre ouverte où ils expriment leurs préoccupations concernant la perte de droits de propriété intellectuelle face à l'IA générative et plaident pour une transparence accrue et une réglementation visant à protéger le contenu et à préserver la confiance du public. Ils exhortent les décideurs à réglementer les modèles d'intelligence artificielle, affirmant que ne pas agir nuira à toute la presse et diminuera la confiance du public dans les médias.
Pour en savoir plus: AFP, AP, Getty Images, USA Today
Nouveau saut de puce pour Nvidia : Lors de la conférence Siggraph de cette semaine à Los Angeles, Nvidia et son PDG Jensen Huang ont présenté une série de produits destinés à l’IA, notamment le nouveau Grace Hopper GH200, qui promet des performances exceptionnelles pour les applications IA et notamment une chute importante des coûts de fonctionnements des grands modèles de langage (LLM). Nvidia a également présenté de nouveaux outils et services, comme Maxine pour l'édition vidéo et AI Workbench pour faciliter le développement de l'IA générative. Jensen Huang a révélé que l'entreprise investit massivement depuis 2018 sur le traitement d'images par l'IA, notamment via le ray tracing et l'upscaling intelligent (RTX et DLSS). Il envisage un avenir où presque tout sera géré par des modèles de langage à grande échelle, avec Nvidia jouant un rôle central dans cette évolution technologique.
Pour en savoir plus: CNBC
La mise en garde du pape François sur l’IA : A peine rentré des Journées Mondiales de la Jeunesse de Lisbonne, le pape François a appelé à une réflexion mondiale sur les dangers potentiels de l'intelligence artificielle. Il a souligné la nécessité d'une vigilance pour éviter que la violence et la discrimination ne dominent la production et l'utilisation de ces dispositifs, tout en insistant sur l'importance d'orienter l'IA de manière responsable pour qu'elle serve l'humanité.
Pour en savoir plus: Reuters
La Cnil s’attaque à Worldcoin : Une semaine après le lancement de Worldcoin, l'initiative blockchain de Sam Altman (voir Qant du 28 juillet), la Cnil a débuté selon Reuters une enquête sur cette plateforme qui utilise un système d'identification basé sur le scan de l'iris. Les préoccupations concernent la légalité de la collecte de données, les conditions de stockage des informations biométriques et la conformité au Règlement général sur la protection des données (RGPD), notamment en ce qui concerne la suppression des données personnelles. L’Allemagne, le Kenya et l’Argentine ont déjà lancé des actions similaires.
Pour en savoir plus: Washington Post, L’Usine Digitale
Un stablecoin pour PayPal : PayPal a annoncé le lancement d'un stablecoin adossé au dollar américain, ce qui a fait grimper ses actions de 2,66%. Nommé "PayPal USD", ce premier concurrent régulé de Circle sera soutenu par des dépôts en dollars américains et des bons du Trésor à court terme. Il sera émis par Paxos Trust pour les clients de PayPal aux États-Unis.
Pour en savoir plus: Reuters
Microsoft s’appuie sur Aptos pour promouvoir le Web3 : Aptos Labs et Microsoft ont signé un partenariat pluriannuel visant à promouvoir l'adoption du Web3, combinant le service Azure OpenAI de Microsoft avec la technologie blockchain d'Aptos. Grâce à cette annonce, le token APT d'Aptos a augmenté de 13%, atteignant un prix de 7,51 $.
Pour en savoir plus: Tech Crunch
Anyteleop, des yeux pour tous les robots : Des chercheurs de Nvidia et de l'université de Californie à San Diego ont développé un système de téléopération basé sur la vision par ordinateur qui peut être appliqué à des robots différents, dans des scénarios différents. Contrairement aux systèmes traditionnels, AnyTeleop peut s’interfacer avec différentes sortes de mains et de bras robotiques, de configurations de caméra, et d’environnements simulés ou réels. Elle veut ainsi ainsi offrir une solution généralisable et facilement déployable.
Pour en savoir plus: Techxplore
Inégaux devant les robots : Un rapport récent du National Bureau of Economic Research américain, basé sur 50 000 entreprises pour 289 000 établissements industriels, montre que le développement des robots, accéléré par les progrès de l’intelligence artificielle, pourrait avoir un impact aussi important sur l’économie qu’Internet ou l’électricité. Celui-ci s’avère très inégal selon l’âge et la taille des entreprises. Sans surprise, ce sont les entreprises de croissance (âge faible, effectifs importants) qui emploient le plus de robots industriels. Elles tendent aussi à payer moins cher leurs ouvriers.
L'âge et la taille, les deux facteurs les plus importants pour l'usage des robots dans l'industrie américaine. Source : NBERL’étude insiste également sur un autre critère important : la répartition territoriale et la présence, essentielle, d’installateurs spécialisés.
Pour en savoir plus: Axios
Un million de chasseurs de monstres : Après le succès durable de Pokemon Go, Niantic s’appuie sur une autre grande franchise japonaise, Monster Hunter de Capcom, pour lancer un nouveau jeu de chasse en réalité augmentée. Monster Hunter Now a enregistré plus d’un million de préenregistrements depuis le 27 juillet, et il prévoit d’atteindre les 5 millions avant son lancement le 14 septembre. Ses objets ne devraient être pas disponibles seulement dans la réalité (augmentée) mais aussi dans des mondes plus virtuels, notamment Assassin’s Creed Valhalla d’Ubi Soft.
Pour en savoir plus: Mixed News
Un retard quantique préoccupant pour l’Europe : Un rapport du European Policy Center alerte sur le besoin urgent pour les entreprises et les gouvernements de développer une stratégie face à la menace des cyberattaques par ordinateur quantique. Bien que des États européens aient commencé à prendre des mesures, le rapport souligne que l'Europe dans son ensemble est en retard par rapport aux États-Unis. Le think tank formule des propositions, tel qu’un plan de migration détaillé permettant de transférer les informations sensibles aux attaques quantiques vers un cryptage post-quantique.
Pour en savoir plus: IEEE Spectrum
Mardi 15 août prochain, la Russie commencera à tester sur le terrain la monnaie numérique de sa banque centrale. Cette phase pilote, à laquelle participeront 13 banques et un nombre limité de leurs clients, vise à affiner les fonctionnalités du rouble numérique, déjà pourvu de son logo (ci-dessous).
Le logo du rouble numérique, qui commence ses tests le 15 août prochain.
Le président Vladimir Poutine a promulgué le 24 juillet une loi qui établit le rouble numérique comme la troisième forme de la monnaie nationale, en complément des formes existantes, fiduciaire (les espèces) et scripturale (chèques, virements, cartes bancaires…). Elle devrait être principalement utilisée pour les paiements et les transferts d'argent. Les premiers tests porteront sur les processus de base, tels que la création de portefeuilles numériques et l'utilisation de codes à réponse rapide (QR codes) pour les transactions. Les participants pourront utiliser les roubles numériques dans 30 établissements de vente au détail répartis dans 11 villes russes.
La Banque de Russie a souligné que l’adoption ne sera pas obligatoire, et que le déploiement ne devrait pas être terminé avant 2025. Jusqu'à la fin de 2024, tous les services seront gratuits, mais à partir de l’année suivante, les transactions entre entreprises coûteront 15 roubles (0,15 €) chacune, tandis que les particuliers paieront de 0,2 % à 0,3 % du montant total de la transaction.
La Biélorussie a aussitôt tenté d’emboîter le pas de son grand voisin, par une déclaration du vice-président de la Banque nationale de Biélorussie (BNB), Dmitry Kalechits, reprise par l’agence de presse russe Interfax. Le rouble biélorusse numérique se destinera principalement aux paiements transfrontaliers. En effet, depuis l’invasion de l’Ukraine, les principales banques biélorusses sont soumises, tout comme leurs homologues russes, à des restrictions d'accès aux systèmes de paiement internationaux, notamment Swift. Un système d’échange direct en monnaie numérique entre les banques centrales de Minsk et de Moscou atténuerait considérablement l’effet des pour les Biélorusses. Dans ce but, la Russie a lancé la plateforme Mir et la Chine, le CIPS (Cross-border Interbank Payment System).
Dans le même esprit, début juillet, la Biélorussie s’est engagée à intégrer l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), établie par la Chine et la Russie en 2001, et étendue depuis à l’Inde, au Pakistan, aux pays d’Asie centrale et, depuis le 4 juillet dernier, à l’Iran. En leur donnant la bienvenue, le président chinois Xi Jinping a invité les pays membres de ce bloc en formation à « accroître la part des règlements entre eux en monnaie locale et à développer la coopération en matière de monnaie numérique souveraine » (Xinhua). Une position qu’il répète à l’envi, notamment au sein de l’initiative « Belt and Road », le principal véhicule des ambitions internationales chinoises.
Cette semaine, Bloomberg a fait état d’informations selon lequel le projet mBridge, mené par la Banque des règlements internationaux (BRI ou BIS, selon l’acronyme anglais) avec l’appui de la Chine et Hong-Kong, ainsi que des Émirats Arabes Unis et de la Thaïlande, était proche de déboucher sur un « minimum viable product ». La plate-forme pourrait ensuite permettre au yuan numérique (e-CNY) de concurrencer le dollar pour les transactions des grandes entreprises, qu’on estime en moyenne à 6 600 milliards de dollars par jour. La perspective provoque déjà des inquiétudes aux Etats-Unis, observe l’agence, à qui une source déclare que « le FMI veut éviter que le projet ne passe du statut de solution technique à celui d'outil géopolitique ».
Les compétences de la BRI en matière de monnaie numérique sont reconnues, mais c’est en Chine que la monnaie numérique de banque centrale (CDBC, selon l’acronyme anglais) a pris beaucoup d’avance. Le e-CNY y a été introduit dès avril 2020. Fin 2022, 13,6 milliards de yuans numériques étaient en circulation (soit environ 2 milliards d’euros au taux de change de l’époque) selon la banque de Chine. Certes, cela ne représente que 0,13% de la masse monétaire globale, mais l’usage se répand petit à petit.
Huit cents foyers du Hunan ont payé cette année leurs impôts en e-CNY, d’après une dépêche de lundi dernier de l’agence Xinhua. La Banque de Chine, China Telecom et China Unicom proposent depuis juillet des « hard wallets » codés dans la carte SIM du téléphone. Au total, les transactions cumulées en e-CNY ont atteint 1800 milliards de yuans (250 milliards de dollars) à fin juin dernier, contre 100 milliards de yuans entre 2020 et août 2022 (Reuters). Cent vingt millions de wallets sont ouverts et le nombre de e-CNY a augmenté de presque un quart en six mois, à 16,5 milliards.
En face, les projets d’euro et de dollar numériques sont embryonnaire pour l’un, inexistants pour l’autre. Forte de son avance, ainsi que de son poids dans les échanges mondiaux, la Chine pousse ses pions. En mars et en avril respectivement, le Brésil et l'Argentine ont tous deux conclu des accords bilatéraux afin d'utiliser le yuan et leurs monnaies pour le règlement des transactions. Plus prudent, le ministre saoudien des Finances, Mohammed al-Jadaan, a simplement déclaré dès janvier à Davos que Riyad était ouvert au règlement des transactions pétrolières dans des monnaies autres que le dollar.
Cette volonté de réduire le rôle du dollar dans les transactions devrait trouver un nouvel élan au quinzième sommet des économies émergentes (du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, les Brics, mais pas seulement) qui se tiendra à partir du 22 août en Afrique du Sud. L’utilisation des monnaies locales, mais surtout des monnaies numériques, a été inscrite à l’ordre du jour.
La « dédollarisation » correspond à une réalité : la part du dollar dans les réserves monétaires mondiales est passée de 73 % en 2000 à 59 % aujourd’hui. Mais pour qu’elle s’appuie efficacement sur des monnaies numériques, il faut que celles-ci fassent émerger un système de paiements internationaux plus rapide, plus efficace et moins cher que l’existant. Pour cela, on peut concevoir trois modèles.
A l’instar de l’euro, on peut imaginer que des pays se dotent d’une monnaie numérique commune, à l’instar de l’euro. Mais hormis peut-être le Mercosur, on peine à imaginer quels pays voudraient ainsi réunir leurs gouvernances. Deuxième option, la BRI prépare, sous le nom d’Icebreaker, un système centralisé d’échange de monnaies. Une sorte de Swift du XXIème siècle qui ne ferait que lui succéder : plus ça change…
Troisième option, chaque pays peut choisir de relier sa monnaie numérique à telle ou telle autre : la gouvernance décentralisée que prépare, justement, mBridge. A défaut d’être remplacé comme monnaie de réserve, le dollar se verrait, petit à petit, marginalisé par la fragmentation du système monétaire international.
On comprend qu’à Washington, certains puissent être un peu tendus.
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