De Hegel à Qant: la réglementation de l'IA

Alors que la BCE pourrait bientôt proposer une nouvelle forme d'euro numérique, les Etats généraux de l'information viennent ajouter une caisse de résonance au débat sur l'AI Act européen. L'américain Jamie Dimon imagine un futur rose et l'allemand Joschka Fischer propose un recul hégélien. Bienvenue dans Qant, mercredi 4 octobre 2023.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022.

L’ÉVÉNEMENT

L’euro numérique en route vers les marchés de gros

L’un des plus sérieux sites de la presse crypto se fait l’écho de déclarations du gouverneur de la Banque de France qui indiquent un possible changement de pied de la BCE dans la préparation d’une monnaie numérique.

"François Villeroy de Galhau vu par Midjourney" (Qant, M. de R. vu par Midjourney)"François Villeroy de Galhau vu par Midjourney" (Qant, M. de R. vu par Midjourney)

Les banques centrales de la zone euro présenteront dans les prochaines semaines des plans pour une monnaie numérique de banque centrale (MNBC ou, selon l’acronyme anglais, CBDC) de gros, a déclaré publiquement le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, dans des propos rapportés par CoinDesk. Dite “de gros”, une CDBC interbancaire, destinée aux marchés financiers, innovera dans la manière dont les institutions financières règlent leurs transactions en valeurs mobilières et en devises étrangères. D’après le site crypto, le gouverneur a également mentionné que la banque centrale explore différents protocoles, y compris son propre système de registre distribué pour le règlement des titres, DL3S.

Alors que le projet d'un euro numérique destiné au grand public suscite des controverses concernant la vie privée – que la BCE dénonce comme “complotistes” – et surtout sur son impact sur les banques commerciales (lire Qant du 3 juillet et du 1er septembre), une monnaie de gros pourrait faire consensus. Il s’agit en tout cas d’une orientation que la France défend depuis plusieurs années dans le monde feutré de l’Eurosystème, qui regroupe les banques centrales des pays membres de l’euro.

Pour être précis, un euro numérique de gros serait une forme dématérialisée de monnaie, destinée exclusivement aux transactions entre banques centrales, banques commerciales et autres institutions financières sur des actifs "tokenisés". La Banque de France a initié dès 2020 un programme d'expérimentations sur une CDBC interbancaire, collaborant avec des acteurs de marché et des institutions internationales. En septembre dernier, elle a rendu publics les résultats du projet Mariana, mené avec la BRI et les banques centrales de Suisse et de Singapour. Il s’agit d’une preuve de concept (PoC) explorant l'avenir des échanges et règlements sur le marché des changes, dans un monde où les banques centrales auraient émis des monnaies numériques de banque centrale (CBDCs), en s'inspirant des concepts de la finance décentralisée.

Après la crise financière de 2008, les pays membres de la Banque des règlements internationaux (BRI) ont en effet renforcé l'utilisation de la monnaie centrale pour sécuriser les transactions financières. Cependant, avec l'émergence de la "tokenisation" de la finance, la nécessité d'une CDBC sur les technologies de registre distribué (DLT) comme la blockchain s’impose pour qui veut éviter l'utilisation d'actifs privés, tels que les cryptomonnaies, pour ces transactions.

La Suisse et même les États-Unis, où l’opposition à un dollar numérique est très vive, préparent une CDBC interbancaire. Il serait temps que l’Europe s’y mette.

Pour en savoir plus :

Vers une politique française et européenne de l’IA

Les Etats généraux de l’information se sont ouverts hier en France, pendant que le trilogue sur l’AI Act européen enregistrait de premières avancées.

"Le robot pèse sur le monde" (Qant, M. de R. avec Midjourney)"Le robot pèse sur le monde" (Qant, M. de R. avec Midjourney)

Annoncés en juillet, les États généraux de l'information ont été lancés ce mardi dans l'Hexagone. Leur objectif: définir les nouvelles règles du jeu dans un paysage médiatique en mutation, face aux défis tels que la désinformation, la concentration des médias et la protection des sources journalistiques. Sébastien Soriano, ancien président de l’Arcep, dirigera un groupe de travail consacré notamment au contrôle de l’intelligence artificielle, aux responsabilités des producteurs d’outils technologiques, à la lutte contre la désinformation et, plus généralement, au droit à l’information à l’ère numérique. Coordonnés par un comité de pilotage indépendant, présidé par Bruno Lasserre, ancien vice-président du Conseil d'État, les groupes de travail thématiques élaboreront jusqu'en mai 2024 une liste de recommandations qui sera présentée en juin au Président de la République.

Il leur faudra tenir compte de l’AI Act, dont les négociations trilatérales semblent en passe de se débloquer. Elles opposent le Conseil des États membres, qui espèrent favoriser l’émergence d’une industrie européenne de l’IA, et le Parlement, qui a prévu de réglementer très strictement les modèles, notamment en termes de droit d’auteur. D’après le média professionnel Contexte, la Commission a proposé au trilogue de Strasbourg, lundi et mardi derniers, un compromis qui imposerait aux modèles de fondation des obligations croissantes en fonction de critères comme leur taille – ce qui favoriserait les “petits” Européens comme le français Mistral, qui vient de présenter un modèle à 7 milliards de paramètres. La France, toutefois, voulait ôter toute référence aux modèles de fondation du règlement. Un accord de “filtre supplémentaire”, qui impose aux créateurs de modèles de s’auto-évaluer, a été trouvé sur les systèmes d’IA à haut risque, quoique la liste des cas d’usage ne soit pas arrêtée. Le principal point de désaccord semble porter sur la gouvernance, particulièrement la création d’une agence européenne de l’IA (lire Qant du 5 juin).

Tels les carabiniers d’Offenbach, les États généraux de l'information arriveront sans doute après que la bataille soit terminée. Pour les professionnels de la culture, en tout cas, le lobbying a déjà commencé. 70 organisations liées à la création et aux industries culturelles ont exprimé leurs préoccupations concernant la position française sur le règlement de l'IA, à travers une tribune publiée dans Le Monde vendredi. Elles plaident pour une approche plus détaillée que la simple publication d'un "résumé" des données d'entraînement des modèles d'IA, souhaitant une liste exhaustive des œuvres utilisées et de leurs sources. En réponse, la vice-présidente tchèque de la Commission, Vera Jourova, appelait dans le Financial Times, mardi, à éviter la “paranoïa” dans la réglementation. Et, par exemple, à rouvrir l’épineux sujet de la directive sur les droits d’auteur.

Pour en savoir plus :

L’ESSENTIEL : Humane, JP Morgan, Microsoft, Stampli, UBS, Visa

ROBOTS

Du parkour par deep learning

Unitree A 1, un robot formé par des chercheurs de l’université Carnegie Mellon, utilise l’apprentissage par renforcement profond pour se déplacer dans des terrains accidentés, à la manière du parkour pour l’homme.

Xuxin Cheng et Kexin Shi, de l'université Carnegie Mellon ont démontré qu'un robot quadrupède pouvait apprendre des comportements athlétiques dynamiques, tels que le parkour, en utilisant l'apprentissage par renforcement profond. Le robot, nommé Unitree A1, a été formé pour naviguer sur des terrains complexes, y compris sauter par-dessus des obstacles et traverser des fossés, en se basant directement sur les entrées visuelles sans nécessiter de cartographie ou de planification explicites. Cette avancée montre comment une politique basée sur un réseau neuronal unique peut permettre à un robot de réaliser des mouvements complexes dans le monde réel, malgré des retards de perception et une action imparfaite.

Pour en savoir plus : Carnegie Mellon University

IA

  • La vision optimiste de l’IA chez JP Morgan… : Jamie Dimon, PDG de la plus grande banque américaine, a déclaré dans une interview à Bloomberg que l'intelligence artificielle est déjà utilisée par des milliers d'employés de sa banque et pourrait améliorer considérablement la qualité de vie des travailleurs, même si elle supprime certains emplois. Selon lui, la technologie pourrait permettre de passer à une semaine de travail de 3,5 jours.
    Pour en savoir plus: Bloomberg

  • … et l’inquiétude de Microsoft face à Google : En témoignant lors du procès pour pratiques anticoncurrentielles visant Google, le directeur général de Microsoft Satya Nadella a exprimé ses préoccupations quant à la capacité de Google à utiliser son avantage pour dominer le secteur de l'intelligence artificielle. Il a rappelé que la puissance de Google dans la recherche en ligne est telle que même Microsoft n’a jamais pu la contrebattre.
    Pour en savoir plus: CNBC

  • L’IA peut prouver qu’elle est humaine… : Un utilisateur de Bing Chat, le chatbot IA de Microsoft, a trompé le modèle de la manière à lui faire résoudre un captcha, en intégrant l'image du Captcha dans un médaillon fictif appartenant à sa "grand-mère décédée" et en demandant à l'IA de lire l'inscription. En changeant le contexte de l'image, Bing Chat n'a pas reconnu l'image comme un captcha et l'a résolu avec succès, alors qu'il avait dans un premier temps refusé de lire ce dernier sous sa forme originale.
    Pour en savoir plus: Ars Technica

  • … Et elle défile à la Fashion Week : Humane, une startup fondée par d'anciens dirigeants d'Apple, a présenté son dispositif "AI Pin" lors de la Fashion Week à Paris. Le mannequin Naomi Campbell a porté cet assistant IA portable équipé d'un mini-projecteur et d'une caméra. Le dispositif, décrit comme un appareil autonome sans écran conçu pour l'IA, sera entièrement dévoilé le 9 novembre. Humane avait fait mention de l'AI Pin pour la première fois lors d'une conférence Ted Talk en avril dernier (lire Qant du 25 avril).
    Pour en savoir plus: Engadget

  • 61 millions pour automatiser les comptes fournisseurs grâce à l’IA : Stampli, une entreprise spécialisée dans l'automatisation des comptes fournisseurs grâce à l'intelligence artificielle, a annoncé avoir levé 61 millions de dollars lors d'un tour de financement de série D mené par Blackstone. Cette levée porte le financement total de Stampli à plus de 148 millions de dollars.
    Pour en savoir plus: Bloomberg

  • Visa mise 100 millions sur la GenAI : Visa vient d'annoncer son intention d'investir 100 millions de dollars dans des entreprises développant des technologies et applications d'IA générative qui influenceront le futur du commerce et des paiements. Ces investissements seront effectués via Visa Ventures, le bras d'investissement corporatif mondial de la société.
    Pour en savoir plus: Tech Crunch

BLOCKCHAINS

  • Un fonds monétaire tokénisé pour UBS : UBS Asset Management a lancé un pilote de fonds monétaire tokenisé sur la blockchain publique Ethereum, dans le cadre du Project Guardian de l'Autorité monétaire de Singapour. La tokenisation des fonds offre une plus grande liquidité en élargissant la portée, et UBS a utilisé sa propre plateforme UBS Tokenize pour cette initiative.
    Pour en savoir plus: Ledger Insights

AR-VR-XR

  • Rencontrer Van Gogh grâce à la VR : Le musée d'Orsay à Paris propose une expérience de réalité virtuelle intitulée "La palette de Van Gogh" en marge de l'exposition "Van Gogh à Auvers-sur-Oise". Cette expérience immersive, développée en collaboration avec le taïwanais HTC, permet aux visiteurs de plonger dans l'univers créatif de Van Gogh, d'interagir avec ses couleurs et d'explorer ses œuvres grâce à la VR.
    Pour en savoir plus: EuroNews

QUANTUM

  • Un nouvel algorithme nourrit les craintes sur la cryptographie : Les ordinateurs quantiques pourraient potentiellement casser le cryptage plus tôt que prévu grâce à un nouvel algorithme développé par le Oded Regev de l'université de New-York. Alors que l'algorithme original de Shor nécessite un grand nombre de qubits pour déchiffrer le cryptage RSA, l'approche d'Oded Regev pourrait réduire considérablement ce nombre, bien que des limitations pratiques subsistent.
    Pour en savoir plus: Singularity Hub

EXPERT : Joschka Fischer, ancien vice-chancelier allemand

L’IA : maître ou esclave ?

Maintenant que l'humanité a franchi le seuil de l'IA, nous devons prendre au sérieux la possibilité que notre évolution d'une civilisation humaine vers une civilisation de machines aboutisse à l'élimination totale de l'élément humain. Les autres crises que nous avons créées rendent probable une hypothèse à laquelle il semble difficile de croire.

Joschka Fischer vu par Midjourney (Qant, M.de R. avec Midjourney)Joschka Fischer vu par Midjourney (Qant, M.de R. avec Midjourney)

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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