L'Europe s'agite pour ses robots

Pendant que la GenAI anime la vie politique française et européenne, des chercheurs chinois développent un grand modèle de langage à moindre coût, les premiers licenciements arrivent en France et, aux Etats-Unis, l'IA commence à traquer les criminels. Bienvenue dans Qant, mardi 19 septembre

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022.

L’ÉVÉNEMENT

La France pour les robots (mais les siens)

L’AI Act européen est entré début septembre en “trilogues”. Au sein du Conseil, l’Allemagne et la France poussent en défense de leurs champions, Aleph Alpha et Mistral, et pour la surveillance par IA dans les lieux publics. Pendant ce temps, en France, l’Assemblée examine le projet de loi sur l’espace numérique, déjà voté par le Sénat. Des députés Renaissance tentent de rendre obligatoire la mention de l’IA et des œuvres sources.

"Un robot à la française" (Midjourney)"Un robot à la française" (Midjourney)

Le futur AI Act européen veut réglementer les IA en fonction du risque qu’elles posent, mais il se trouve confronté lui-même à un autre type de risque, politique et non technologique. Les États membres, réunis au sein du Conseil européen, sont encore divisés mais leurs positions semblent destinées à converger contre celles du Parlement européen. Celui-ci avait introduit l’IA générative dans le projet de règlement en début d’année (lire Qant du 12 mai et du 22 mai). Des caméras vidéo dans l’espace public au droit d’auteur dans les LLM comme ChatGPT, les principales mesures sont contestées.

L’article 5 interdit les IA qui utilisent des techniques subliminales, manipulatrices ou trompeuses pour influencer le comportement d'une personne, celles qui exploitent les vulnérabilités d'une personne ou d'un groupe et celles qui peuvent permettre une notation sociale ou la classification de personnes physiques ou de groupes d'une manière qui conduit à un traitement préjudiciable ou défavorable de ces personnes ou groupes. Le Parlement a rajouté à la liste, malgré l’opposition de la droite européenne et, en sous-main, de la Commission, les systèmes d'identification biométrique à distance en temps réel dans les espaces accessibles au public – comme les stades de JO, l’an prochain en France – bien que l’identification a posteriori par les forces de l’ordre reste admise. Comme prévu, les gouvernements orientent les “trilogues” vers un retour au texte d’origine, favorisant le maintien de l’ordre sur les libertés publiques.

Le Parlement a également allongé la liste des IA à haut risque, réglementées par l’article 6. En particulier, il y a soumis les IA utilisées par les plateformes de médias sociaux pour générer des recommandations pour les utilisateurs, ainsi que les IA utilisées pour influencer le résultat d'une élection ou d'un référendum. Et, surtout, les modèles de fondation sont soumis à un régime qui s’en inspire directement. Leurs obligations ont été décrites dans l’article 28b, qui leur impose notamment de :

  • Démontrer "l'identification, la réduction et l'atténuation des risques raisonnablement prévisibles pour la santé, la sécurité, les droits fondamentaux, l'environnement, la démocratie et l'État de droit..." en utilisant "une conception, des tests et une analyse appropriés".

  • Appliquer certaines mesures de gouvernance des données "pour examiner l'adéquation des sources de données, les biais éventuels et les mesures d'atténuation appropriées".

  • Communiquer les données protégées par le droit d’auteur utilisées pour l’entraînement du modèle.

  • Impliquer des experts indépendants, documenter l'analyse et procéder à des "tests approfondis" pour atteindre "des niveaux appropriés de performance, de prévisibilité, d'interprétabilité, de corrigibilité, de sécurité et de cybersécurité".

  • Concevoir le modèle de base de manière à pouvoir mesurer sa consommation d'énergie et de ressources et son impact sur l'environnement.

  • Créer "une documentation technique détaillée et des instructions intelligibles".

  • Enregistrer le modèle de base dans la base de données européenne sur les IA à haut risque.

Mistral gagnant…

Cent cinquante entrepreneurs ont lancé fin juin un appel dans le Financial Times pour s’opposer au projet du Parlement. Parmi eux, les trois fondateurs de la start-up française Mistral, start-up qui compte parmi ses actionnaires l’ancien secrétaire d’État au Numérique Cédric O. Celui-ci s’est fortement opposé au projet du Parlement, dans nos colonnes et celles de Project Syndicate (lire Qant du 26 mai).

La France semble avoir accueilli avec faveur leur argumentation et s’employer à ce que le Conseil laisse plus d’espace aux start-ups européennes. Volker Wissing, ministre allemand du Numérique, a pris pour sa part des positions encore plus libérales, soutenant l’initiative d’un code de conduite volontaire – successivement adoptée par les grandes entreprises américaines sous l’aiguillon de la Maison-Blanche (lire Qant du 25 août et du 14 septembre). ”Les systèmes d'IA utilisés pour les infrastructures critiques (approvisionnement en énergie, gestion du trafic) doivent être soumis à des règles différentes de celles qui s'appliquent à des chatbots qui conseillent sur la planification des vacances” expliquait-il fin juillet sur la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il faut dire que l’Allemagne a aussi un créateur de modèle de fondation, Aleph Alpha à Heidelberg, qui veut créer une IA “souveraine” et respectueuse de la diversité linguistique du Vieux Continent.

…Éditeurs perdants

Si la France et l’Allemagne entraînent à leur suite les autres Etats – qui eux n’ont généralement pas de champion national à défendre –, les géants américains en seront sans doute les premiers bénéficiaires. Et les premiers perdants pourraient être les éditeurs de presse et en général de contenus en ligne. C’est en effet l’article 28b qui porte les règles sur le droit d’auteur. Elles pourraient peser lourd sur les négociations et la valeur des fonds documentaires (lire Qant du 18 septembre).

Un accord final sur le texte européen est attendu d'ici à la fin de l'année, en tout cas avant les élections du Parlement européen en 2024. D’ici là, le projet de loi français sur l’espace numérique, déjà voté par le Sénat, est examiné par l’Assemblée Nationale. Un amendement vient d’être présenté par des députés Renaissance avec un objectif très proche de celui du Parlement européen. Le projet stipule que pour toute œuvre créée par l'IA sans intervention humaine, les droits d'auteur reviennent à ceux qui ont créé les œuvres initiales utilisées pour former l'IA. Il prévoit également la mise en place d'une taxe sur les productions d'IA basées sur des œuvres d'origine inconnue et une indication spécifique sur les œuvres générées par l'IA.

Pour en savoir plus :

L’ESSENTIEL : Ethereum, Jpex, Oracle

ROBOTS

Quand le robot imite l’animal

Des chercheurs chinois viennent de remporter un prix pour leur robot capable d’imiter plusieurs animaux en changeant de forme.

Une équipe de recherche de l'université de Shenzen a remporté un prix du Journal of Mechanisms and Robotics pour la conception d'un robot, nommé Origaker, capable de simuler la démarche de divers animaux, allant des reptiles aux mammifères en passant par les arthropodes, grâce à une seule structure mécanique. Des mécanismes “métamorphiques” permettent au robot de changer de mode de fonctionnement et même de forme pour imiter différents animaux. Origaker peut continuellement se transformer, adaptant sa démarche et sa méthode de travail aux différents terrains, même accidentés. Il monte les escaliers sans difficulté, d’après les chercheurs.

Pour en savoir plus :

IA

  • Onclusive exclut la moitié de son personnel : S’appuyant sur l’IA, l’agence de veille média Onclusive prévoit de licencier près de la moitié de ses employés en France. Elle supprimera d’ici à l’an prochain 209 des 447 postes existants, tout en créant une vingtaine de nouvelles fonctions. Le fonds d’investissement Symphony Technology Group (STG) avait fusionné Reputation Intelligence de Kantar, Onclusive et PRgloo en janvier 2022 pour servir des clients comme L’Oréal, Pierre Fabre, Kellogg’s. Leveraged build-down.
    Pour en savoir plus: France TV

  • L’IA pousse Oracle vers Microsoft : Microsoft et Oracle viennent d'approfondir leur partenariat cloud, permettant à Oracle de placer physiquement son matériel Exadata dans les centres de données du cloud Microsoft Azure pour accélérer les applications. Cela permettra notamment aux clients d’Oracle de mieux bénéficier des services d’IA sur Azure, basés sur les modèles d’OpenAI.
    Pour en savoir plus: Wall Street Journal

    Soigner la sténose aortique par le deep learning : Des chercheurs de la Yale School of Medicine viennent de publier dans l'European Heart Journal une approche basée sur le deep learning pour détecter avec précision la diminution de l’ouverture de la valve aortique, sa “sténose”. L’IA analyse des échographies cardiaques et le modèle, entraîné sur des milliers de ces échocardiographies, a démontré une grande efficacité dans la détection précoce de cette maladie. Les essais cliniques doivent cependant encore rendre leur verdict.
    Pour en savoir plus: Health IT Analytics

  • L’IA pour traquer les criminels : Le procureur de district de la Nouvelle-Orléans, Jason Williams, a embauché une équipe ayant traqué des terroristes internationaux pour utiliser l'intelligence artificielle dans l'analyse de données issues des réseaux sociaux afin d'aider à résoudre des crimes violents, selon les informations du Wall Street Journal.
    Pour en savoir plus: News Max

BLOCKCHAINS

  • Lancement manqué pour Holesky d’Ethereum : Le lancement du nouveau “testnet” d'Ethereum, Holesky, a échoué en raison d'une mauvaise configuration du premier bloc de la chaîne, le “genesis block”. Les développeurs d'Ethereum ont décidé de reporter le lancement de Holesky de deux semaines, mais ils assurent que cet incident n'affectera pas le calendrier de leur prochaine mise à jour majeure, Dencun.
    Pour en savoir plus: CoinDesk

  • Le Kazakhstan prépare sa monnaie numérique : La Banque nationale du Kazakhstan (NBK) a créé une entité distincte, la National Payment Corporation (NPC), pour diriger le développement et la mise en œuvre de sa monnaie numérique de banque centrale, le tenge numérique. La NPC, qui est une réorganisation du Centre kazakh pour les règlements interbancaires, supervisera le système national de paiement et sera chargée du développement de l'infrastructure financière numérique, y compris la mise en œuvre du tenge numérique.
    Pour en savoir plus: Coin Telegraph

  • Fin de partie pour Jpex : Touchée par une enquête de la police de Hong-Kong qui a déjà mené à une arrestation, la plateforme d’échanges de cryptomonnaie Jpex a suspendu ses opérations. La Commission des valeurs mobilières et des futures de Hong Kong (SFC) lui reproche notamment d’opérer sans licence dans le territoire. Jpex ferme son interface Earn Trading et, confrontée à des problèmes de liquidité, elle envisage de se transformer en organisation autonome décentralisée (DAO).
    Pour en savoir plus: Bloomberg

AR-VR-XR

  • La VR au service des chirurgiens : Le docteur américain Jake Shine, chirurgien orthopédique, s'est préparé avec succès à une chirurgie de remplacement de l'épaule en utilisant la réalité virtuelle et a ensuite mené l'opération avec succès. Le chirurgien a suivi la formation deux fois par jour durant les jours précédant l’opération. Il a indiqué à la chaîne CNBC que la formation en VR avait permis d’anticiper grandement l’opération.
    Pour en savoir plus: Mixed News

QUANTUM

  • Refroidir les ordinateurs quantiques en Finlande : Des chercheurs du VTT Technical Research Center d’Espoo en Finlande ont conçu un dispositif de refroidissement pour les ordinateurs quantiques, réduisant potentiellement leur volume, mais aussi de dix fois les coûts de leur refroidissement. Ce dispositif utilise les émissions thermoïoniques pour évacuer la chaleur sous forme d'électrons. Il permet de s’approcher du zéro absolu tout en étant plus compact et moins coûteux que les méthodes traditionnelles.
    Pour en savoir plus: Tom’s Hardware

EXPERT : Recherche

Pour une poignée de dollars

Des chercheurs chinois ont entraîné un modèle de 101 milliards de paramètres avec un budget de 100 000 dollars. Résultats.

Comment éviter les coûts faramineux liés à l’entraînement des modèles de langage naturel (LLM), extrêmement dépendants de GPU devenues introuvables et hors de prix ? Des chercheurs de l’Académie de l’intelligence artificielle de Pékin et d’autres universités en Chine et à Singapour, ont formulé en début de moi une première réponse.

 En faisant croître le nombre de paramètres pendant l'entraînement, on peut en réduire le coût. Source: Xiang Li et al. En faisant croître le nombre de paramètres pendant l'entraînement, on peut en réduire le coût. Source: Xiang Li et al.

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: IA et Technologies Émergentes

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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