« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio
Bulle à retardement
La prise de conscience des implications du modèle DeepSeek crée la panique aux États-Unis. La “commoditisation” de l’IA devrait pourtant s’avérer excellente pour l’économie mondiale, l’Europe en tête.
Le moment n’est pas sans rappeler le 10 mars 2000, le jour où la bulle Internet a explosé et le Nasdaq commencé à refluer. Hier, Nvidia a vu son cours reculer de 17 % et sa capitalisation boursière se réduire de 560 milliards de dollars. La grande tourmente a emporté jusqu’à des valeurs françaises à Paris, comme Schneider Electric et Legrand.
En cause : DeepSeek, une start-up chinoise créée en 2023 – plus jeune que ChatGPT. En deux ans, elle a présenté une série de modèles open source susceptibles de remettre en cause la domination américaine de l’IA, que Trump appelle déjà à défendre.
Hier soir, c’était le cas de Janus, une série de modèles de génération d’images qui paraissent meilleurs que Dall-e 3 d’OpenAI. La semaine dernière, c’était le cas du modèle chain-of-thought R1, qui surpasse o1 d’OpenAI et paraît peut-être même meilleur que o3. A Noël, c’était DeepSeek V3, un LLM du niveau des trois LLM les plus puissants, GPT-4o, Claude Sonnet 3.5 et Llama 3.1 405B (lire Qant du 22 janvier et du 6 janvier derniers).
Douche froide en mer de Chine
Il y a un an presque jour pour jour, quand DeepSeek V2 avait surpassé Llama 2 et GPT-3.5, nul ne s’en était ému (lire Qant du 16 janvier 2024). Le vent de panique qui souffle, depuis la semaine dernière sur la Silicon Valley, puis Washington, et maintenant Wall Street, tient à deux chiffres : le coût d’entraînement et le prix de l’inférence.
DeepSeek a annoncé que l’entraînement final (final training run) de son modèle V3 a requis 2,8 millions d’heures de GPU H-800 (la version bridée des Nvidia H-100 accessible depuis la Chine), soit moins de 5,6 millions de dollars américains. Cela a choqué les professionnels, mais moins que les prix que pratique la start-up chinoise, presque trente fois inférieurs à ceux de OpenAI.
Au moment où les grands de la Silicon Valley investissent des dizaines de milliards, voire des centaines de milliards de dollars dans des infrastructures d’IA, la perspective d’un soudain écroulement des prix a fait l’effet d’une douche froide. Derrière Nvidia, xAI/Tesla et les non-cotées OpenAI et Anthropic sont directement menacées, ainsi que dans une moindre mesure Google et Microsoft.
Espoir pour l’Europe
En bonne logique pourtant, l’adoption de l’IA par les entreprises et le grand public devrait bénéficier de l’ouverture du marché et des prix réduits. Parmi les géants de la tech américaine, Apple et Amazon en sortent gagnants, ainsi que sans doute Meta.
Dès hier soir, la start-up Perplexity a intégré DeepSeek R1 à son moteur de recherche générative fondé sur l'IA. Le modèle est hébergé sur ses serveurs américains, ce qui protège les données des utilisateurs et évite les problèmes de censure – le chatbot de DeepSeek, par exemple, ne répond pas aux questions sur la répression de la place Tien An Men, mais son modèle de fondation le fait sans montrer aucun biais. Perplexity promet que le modèle sera déployé également sur des serveurs européens.
Se préfigure ainsi un marché ouvert de l’IA, où les investissements faramineux n’auront pas créé de “fossés” suffisants contre la concurrence. C’est la vision que porte Meta et notamment le prix Turing Yann Le Cun.
“Ce n’est pas la Chine qui dépasse les États-Unis, mais l’open source qui dépasse les modèles fermés” •
Yann Le Cun sur threads, dimanche 26 janvier
Un espoir pour l’Europe
Si la “commoditisation” de l’IA se confirme, le monde – et l’Europe, au premier chef – ne pourra qu’en bénéficier. Les gains de productivité ne seront pas captés par les fournisseurs de technologie. Même le grand oligopole américain de la tech ne sera pas réellement remis en cause, dans la mesure où les “sept magnifiques” proposent des services aux utilisateurs finaux.
Dans le cas de Nvidia, son avance technologique n’est pas remise en cause. OpenAI pourra prendre appui sur sa marque grand public. Seuls souffriront vraiment les spéculateurs qui ont misé sur le fait que l’IA permettrait à quelques-uns, tous américains, d’extraire une nouvelle rente des entreprises du monde entier.
Ceux-là ne se réjouissent pas de cette victoire du marché et de la concurrence. Le très trumpien investisseur Marc Andreessen a qualifié le lancement de DeepSeek R1 de “moment Spoutnik” pour les États-Unis. Il appelle ainsi à une mobilisation pour protéger ceux qui ont beaucoup à perdre d’une explosion de la bulle, comme Elon Musk, Sam Altman et lui-même.
Le grand jeu
Nul doute que Marc Andreessen sera écouté à la Maison-Blanche. Mais sa formule prend le problème à l’envers. Pour combler leur retard dans les technologies spatiales, les États-Unis ont déversé un tombereau d’argent public dans la Nasa. Or, ce n’est pas de plus d’argent que l’IA américaine a besoin, au contraire.
Dans la sphère militaire, le Pentagone est confronté à un problème du même ordre : toutes les technologies permettant de construire des drones pour quelques centaines de dollars sont chinoises. Les drones américains sont au moins cent fois plus chers – et sur le terrain ukrainien, le nombre l’emporte sur la qualité.
La partie diplomatique que Pékin a ouvert avec Donald Trump, en fermant TikTok pendant vingt-quatre heures à la veille de son investiture, vient de prendre une nouvelle dimension.
La révolution des agents d’IA
En partenariat avec Qant et Salesforce, La Place organise une matinée de réflexion sur l’implantation de l’IA agentique en entreprise.
A partir d’un exemple concret, la conversation de la matinale portera sur les deux thématiques principales de la révolution agentique :
Quelles sont les conséquences des choix stratégiques en termes d'agent d’IA, de respect de l’AI Act ?
Comment structurer une architecture où les agents font appel au LLM le mieux adapté pour la tâche qu’on leur a confiée ?
Un code de gratuité est disponible en fin de lettre
Lucie out of the sky, no diamonds yet
Conçue comme une alternative souveraine et transparente aux grandes IA américaines, le LLM Lucie-7B a été mis hors ligne après des performances marquées par des erreurs et des critiques.
SOUVERAINETÉ. Le 23 janvier dernier, le LLM open source français Lucie-7B a été mis en ligne, dans le but de proposer une IA souveraine, ouverte et adaptée à des usages comme l’Éducation Nationale.
SURRÉALISME. Très rapidement, Lucie a produit des réponses absurdes, comme des calculs incorrects (5(3+2)=17), des incohérences historiques (Hérode impliqué dans la bombe atomique) ou des phrases incompréhensibles ("œufs de vaches").
RETRAITE TACTIQUE. Face à ces erreurs et aux critiques sur les réseaux sociaux, les concepteurs ont décidé hier de suspendre l’accès à Lucie, soulignant qu’il s’agissait d’une version expérimentale, non prête à un usage public.
À SURVEILLER : Nécessaire persévérance. Lucie a été développé par Linagora, une entreprise française de services spécialisée dans les logiciels libres, avec le soutien de France 2030, du CNRS et d’institutions comme EDF. Il serait regrettable de les voir se décourager, alors que Google persévère.
OpenAI, Perplexity
TikTok : Perplexity frappe encore à la porte • Après des consultations avec l'administration Trump, Perplexity AI a soumis une nouvelle proposition à ByteDance pour reprendre les activités américaines avec TikTok. À la différence de la première, la semaine dernière, celle-ci permettrait à Bytedance de conserver l’algorithme de TikTok hors de l’accord. Une introduction en bourse d’au moins 300 milliards de dollars permettrait de diluer les actionnaires existants et transférer le contrôle des Américains. L’Etat fédéral pourrait souscrire jusqu’à 50 % des actions, mais sans droits de vote ni représentation au conseil. En savoir plus…
L’Inde se rebelle contre OpenAI • OpenAI fait face à une plainte déposée par une vingtaine de grands médias de l’Inde, dont Indian Express, Hindustan Times et NDTV, ainsi que par l'association indienne des éditeurs numériques, DNPA. Ces organisations accusent OpenAI d'avoir utilisé leurs contenus protégés par le droit d'auteur pour entraîner ChatGPT, ce qui représenterait une menace pour leur propriété intellectuelle et leurs revenus publicitaires.En savoir plus…
L’IA fantôme au cœur des cyberattaques
GhostGPT, un bot Telegram, facilite la création de cyberattaques de toutes sortes.
Les chercheurs de Abnormal Security, experts dans la protection des courriers électroniques contre les menaces avancées viennent de signaler GhostGPT, un chatbot d’IA accessible sur Telegram.
Moyennant paiement, il permet de créer des logiciels malveillants, des e-mails de phishing et diverses cyberattaques.
Il a notamment été utilisé pour des fraudes ciblant les entreprises via des e-mails usurpant l’identité d’un collaborateur ou d’un partenaire, des attaques BEC (business email compromise), une forme de spear phishing.
GhostGPT repose sur une version jailbreakée d’un LLM open source, d’après Abnormal Security.
Il fonctionne donc sans restrictions, offrant des réponses directes à des demandes sensibles ou dangereuses.
À SURVEILLER : L’émergence des IA criminelles. Le risque d’une utilisation criminelle des IA open source a été dénoncé dès 2023 (lire Qant du 9 mai 2023). Il semble éclipsé aujourd’hui par la volonté officielle de l'administration américaine d’imposer, au nom de l’antiwokisme, des LLM avec le moins de restrictions possibles.
La blockchain au cœur du Doge
Elon Musk prépare l’utilisation de la blockchain pour moderniser l’administration américaine.
Elon Musk, désormais en charge du Doge (Department of Government Efficiency) à la Maison-Blanche, a immédiatement ouvert selon Bloomberg des contacts avec diverses entités cryptos pour déployer des technologies blockchain dans l’administration fédérale.
La blockchain serait utilisée pour optimiser les dépenses publiques, gérer les paiements, sécuriser les données et administrer les infrastructures.
Plusieurs blockchains publiques, dont celles de bitcoin et solana, sont envisagées, bien qu’aucune décision définitive n’ait été prise.
En plus de la vingtaine de fonctionnaires du Doge, quelque 100 volontaires ont été mobilisés avant l’investiture présidentielle pour développer les premiers outils technologiques.
À SURVEILLER : Modernisation technologique. Que le Doge permette ou non à l’administration Trump d’atteindre le très ambitieux objectif de réduire les dépenses fédérales “d’au moins 2 000 milliards de dollars”, du moins devrait-il accélérer la modernisation des services publics américains. L’IA et la blockchain constitue les deux outils naturels d’Elon Musk pour mener à bien sa mission.
Le Lynx qui court dans la neige… vers ses acheteurs
Après l’humanoïde G1 d’Unitree, le robot Lynx, conçu par la start-up chinoise Deep Robotics, arrive sur le marché. Il associe roues et pattes pour se déplacer dans des environnements difficiles.
En novembre dernier, Deep Robotics avait annoncé la commercialisation prochaine de son robot quadrupède Lynx, capable de se déplacer sur des surfaces difficiles comme la glace, la neige ou des terrains escarpés. Il est désormais commercialisé à 18 000 dollars, soit 2 000 dollars de plus que l’humanoïde G1 d’Unitree, à une clientèle professionnelle qui recherche une navigation fiable sur des terrains difficiles.
Ce qui distingue Lynx, c’est sa conception hybride. Chaque patte est équipée d’une roue, permettant au robot de basculer entre deux modes de locomotion : il peut rouler sur des surfaces planes pour gagner en rapidité ou verrouiller ses roues pour marcher et grimper comme un quadrupède traditionnel.
Atlas, Kodiak
Les premiers camions autonomes sont déployés aux États-Unis • La start-up californienne Kodiak Robotics et la texane Atlas Energy Solutions ont annoncé avoir conclu un accord pour le déploiement de camions autonomes dans les activités de transport d’Atlas. Pour la première fois au monde, une entreprise de logistique exploite directement des semi-remorques sans chauffeur. Cent livraisons de sable industriel ont été réalisées depuis décembre 2024 dans l’ouest du Texas et l’est du Nouveau-Mexique. Atlas prévoit d’élargir cette flotte en 2025 et de l’intégrer à son convoyeur autonome Dune Express afin d’automatiser sa chaîne logistique. En savoir plus…
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EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNES :
• Le modèle R1 de DeepSeek surpasse des benchmarks clés à moindre coût, redéfinissant la compétition en IA.
• Lynx, qui combine mobilité sur roues et marche quadrupède pour naviguer sur neige, glace et terrains complexes, arrive sur le marché des applications industrielles et de secours.
DeepSeek, le triomphe de l’apprentissage par renforcement et l’échec des sanctions
Sous l’aiguillon des restrictions américaines, la start-up chinoise DeepSeek a développé un modèle d’IA aussi performant que ses rivaux occidentaux, mais à des coûts largement inférieurs.
Source : LMSYS Arena Leaderboard
Vendredi, le modèle R1 de la chinoise DeepSeek a brièvement pris la tête du très reconnu classement LMSYS Arena Leaderboard, devant Gemini 2.0 Flash et ChatGPT-4o. C’était la première fois qu’un modèle open source (avec poids ouverts) occupait ce rang ; peu s’attendaient à ce que s’ensuive la tempête boursière d’hier.
Le modèle qui pense en plusieurs langues, et en code
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