Les tempêtes de l'IA, d'OpenAI à l'Argentine

Pendant que l'avenir d'OpenAI s'assombrit et que l'Argentine s'éveille avec un nouveau président ayant fait campagne grâce à l'IA, LVMH fait un pas vers Stanford et Santander s'ouvre aux cryptos. Bienvenue dans Qant, qui fait le point sur l'intelligence artificielle générale, mardi 21 novembre 2023.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022.

DERNIÈRE MINUTE

Si tu reviens, j’annule tout

Chez OpenAI, la saga continue. Le chaos bénéficiera pleinement à Microsoft.

“Le robot s’est brûlé les ailes tel Icare” (Qant, M. de R. avec Midjourney)“Le robot s’est brûlé les ailes tel Icare” (Qant, M. de R. avec Midjourney)

Hier soir, une lettre ouverte signée par plus de 700 salariés d'OpenAI (soit 95% des effectifs) a été publiée par le magazine Wired. Ils y menacent de démissionner en masse et de rejoindre Sam Altman chez Microsoft, si ce dernier n'est pas réintégré et si le conseil d'administration ne démissionne pas. 

Ilya Sutskever, cofondateur et directeur scientifique d'OpenAI, figure parmi les signataires, alors que tout le monde l’accuse d’être à l’origine de la crise. Il aurait été mû par ses inquiétudes quant aux risques de l’intelligence artificielle générale (détaillés dans l’Expert ci-dessous). Ilya Sutskever déclare sur X-Twitter "regretter profondément d'avoir participé aux actions du conseil d'administration". Un rameau d’olivier que Sam Altman a salué par quelques emojis. 

Emmett Shear, le nouveau CEO d'OpenAI, s'est également exprimé sur X-Twitter, en décrivant son plan pour le mois à venir. Il compte “engager un enquêteur indépendant pour examiner l'ensemble du processus qui a conduit à cette situation et produire un rapport complet”. Il a également affirmé que Sam Altman "n'a pas été renvoyé en raison d'un désaccord spécifique sur la sécurité", contredisant les informations sur les désaccords avec Ilya Sutskever (lire Qant du 20 novembre). Ilya Sutskever avait pourtant expliqué la décision du conseil aux salariés, d’après The Platformer, en expliquant que le licenciement était devenu nécessaire pour s’assurer qu’OpenAI crée bien “une intelligence artificielle générale qui bénéficie à tout l’humanité”.

Gagnants et perdants

Quoi qu’il arrive, Microsoft semble extrêmement bien placée pour profiter de la situation. On ne sait rien en effet de la part déjà appelée des 10 milliards que le géant s’est engagé à investir dans OpenAI cet hiver (lire Qant du 20 janvier) ni de la répartition entre liquidités et crédits Azure. Le géant, après avoir absorbé les forces vives de la start-up, pourra renégocier les termes de son investissement à partir d’une position de force.

En revanche, les investisseurs financiers n’ont pas de compensation. D’après Reuters, certains prépareraient déjà un procès contre OpenAI et son conseil d’administration. Ce dernier n’a plus que des mauvaises options. Maintenant qu’Ilya Sutskever est allé à Canossa, soit il sauve l’organisation en laissant revenir Sam Altman, soit il se retrouve face à une coquille vide.

ChatGPT fêtera sa première année d’existence le 30 novembre prochain. En préfigurant la fête, OpenAI a présenté en grande pompe les GPTs, qui préfigurent les agents intelligents de l’AGI, et son nouveau modèle GPT-4 Turbo (lire Qant du 7 novembre 2023 et du 9 décembre 2022).

Triste anniversaire. À vouloir voler trop haut, trop vite, Icare s'est brûlé les ailes. 

Pour en savoir plus

L’ÉVÉNEMENT

En Argentine, une élection made in IA

Après les élections slovaques en octobre, fortement marquées sinon décidées par un deepfake audio, la campagne présidentielle argentine a été fortement marquée par les illustrations d’IA et quelques deepfakes vidéo. Un usage sans doute moins pernicieux, mais qui donnera le la aux grandes élections de l’an prochain, en Europe, sans doute en Grande-Bretagne et surtout aux États-Unis.

Un des memes circulant en Argentine sur la victoire de Javier Milei (Source : Clarìn)/Un des memes circulant en Argentine sur la victoire de Javier Milei (Source : Clarìn)/

Lors de la campagne pour les élections présidentielles argentines, les candidats ont largement utilisé des images générées par intelligence artificielle, une première mondiale. Les deux candidats finalistes, le péroniste Sergio Massa et le libertarien Javier Milei, ont utilisé de manière particulièrement intensive l'intelligence artificielle pour créer des affiches et vidéos de campagne. L'équipe de Sergio Massa a utilisé l'IA pour représenter Javier Milei dans des films comme Orange mécanique et Las Vegas Parano. En réponse, Javier Milei a produit des affiches où il se dépeint comme un lion (ci-dessus) et son adversaire en Mao Zedong. “Avec l'intelligence artificielle comme principal outil pour faire des images et même des vidéos, la figure du lion représentant l'économiste libéral était le grand protagoniste de X (ex Twitter)” témoigne le grand quotidien argentin, Clarìn.

Sergio Massa en Mao Zedong Source : Javier Milei sur X-Twitter Sergio Massa en Mao Zedong Source : Javier Milei sur X-Twitter 

En Slovaquie, le mois dernier, les deepfakes audio semblent avoir fait pencher la balance en faveur du populiste prorusse Robert Fico (lire Qant du 12 octobre). En Argentine, faute de moyens peut-être, l’IA semble surtout avoir été utilisée pour créer des affiches, finalement peu dissemblables des campagnes du passé. Le moment le plus délicat a été la création, par la campagne de Sergio Massa, d’un deepfake montrant Javier Milei discutant du marché des organes humains qu’il entend créer en en libéralisant la vente – une position authentique du candidat libertarien, connu pour son extrémisme. 

Sommés de choisir entre deux candidats également populistes et irresponsables, dans une élection sans grand enjeu international, les Argentins n’ont probablement pas eu à faire face à beaucoup d’interférences étrangères. Il en va tout autrement des grands rendez-vous de 2024 : les élections européennes en juin, américaines en novembre et sans doute, bien que la date n’en soit pas encore fixée, britanniques.

Autorégulation

Les inquiétudes sur l’utilisation politique de l’IA sont particulièrement vives aux États-Unis, où les interférences russes sur les réseaux sociaux ont contribué à faire élire Donald Trump en 2016. En juin dernier par exemple, l'ancien CEO de Google Eric Schmidt prédisait que l'absence de régulation des contenus fallacieux générés par l'IA créerait d'importants problèmes lors des élections américaines. Le décret exécutif sur l’IA ne semble pas susceptible d’apporter seul la solution (lire Qant du 31 octobre). Début novembre, cependant, Meta a décidé de priver les marketeurs politiques de ses outils publicitaires basés sur l'IA, à la suite d'engagements volontaires pris à la Maison-Blanche (lire Qant du 28 juillet, 8 novembre et du 28 juin). 

Reste à voir si l'autorégulation des plates-formes suffira à mettre en place des garde-fous techniques et politiques qui empêcheront la manipulation des élections. Les précédents laissent la place au doute.

Pour en savoir plus :

L’ESSENTIEL :

ROBOTS

Pas de bras, du chocolat

Pour venir en aide aux millions de personnes incapables de se nourrir seules, une équipe de chercheurs a créé un bras robotique capable de saisir des aliments.

Des chercheurs de l'université de Washington aux États-Unis ont développé un bras robotique assisté pour l'alimentation, capable de réaliser un ensemble de onze actions pour saisir presque tous les aliments pouvant être pris avec une fourchette. 

Ce bras robotique, qui peut être fixé sur un fauteuil roulant, a été conçu pour apprendre à saisir de nouveaux aliments au cours d'un repas, atteignant un taux de réussite de plus de 80% dans la prise de divers aliments. Cette innovation représente une avancée significative dans l'assistance aux personnes incapables de se nourrir seules, un groupe estimé à environ 1,8 million de personnes rien qu'aux États-Unis.

Les chercheurs comptent adapter le fonctionnement du robot aux besoins spécifiques de chaque utilisateur. Il s'agit notamment de personnaliser l'approche du robot en fonction de la mobilité du cou de l'utilisateur, de la force différentielle des côtés de la bouche et des préférences personnelles, comme l'angle d'approche pour se nourrir. 

Pour en savoir plus : University of Washington

  • Cruise perd son conducteur : Kyle Vogt, CEO de la filiale de voitures autonomes Cruise de General Motors, vient de démissionner suite à des semaines de tumulte, notamment après avoir dû rappeler tous ses véhicules aux États-Unis pour une révision de sécurité à la suite d'un accident le 2 octobre (lire Qant du 10 novembre). Cette démission intervient alors que la National Highway Traffic Safety Administration a récemment ouvert une enquête sur les risques que les véhicules de Cruise présentent pour les piétons.
    Pour en savoir plus: Reuters, New York Times

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

  • LVMH s’associe à Stanford : LVMH a annoncé un partenariat avec l'Institut d'Intelligence Artificielle Centrée sur l'Humain de l'Université de Stanford (Stanford HAI) pour développer des applications d'IA dans ses activités, en mettant l'accent sur l'expérience client et l'optimisation des opérations. Ce partenariat vise à explorer l'IA responsable, la conception centrée sur l'humain et l'interaction homme-ordinateur pour améliorer divers aspects tels que la conception de produits, le marketing, la fabrication et la gestion de la chaîne d'approvisionnement.
    Pour en savoir plus: LVMH, Stanford HAI

  • Un pas vers l’autorégulation des modèles dans l’AI Act : L'Allemagne, la France et l'Italie ont conclu un accord sur la réglementation future de l'intelligence artificielle. Cet accord privilégierait une "auto-régulation obligatoire par le biais de codes de conduite" pour les modèles fondamentaux d'IA, sans imposer initialement de sanctions. Cet accord, qui vise à équilibrer les opportunités et les risques de l'IA, devrait accélérer les négociations au niveau européen, tout en se concentrant sur la régulation de l'application de l'IA plutôt que sur la technologie elle-même.
    Pour en savoir plus: Reuters, Pymnts

  • Chez Meta, moins de sécurité, plus d’IA : Meta a dissout sa division Responsible AI, qui était dédiée à la régulation de la sécurité de ses projets d'intelligence artificielle. La plupart des membres de cette équipe ont été réaffectés à la division de développement de produits d'IA générative de l'entreprise, dans le cadre d'une restructuration comprenant des licenciements et des fusions d'équipes au sein de l'entreprise cette année.
    Pour en savoir plus: The Information, CNBC

  • Un X acheté, un quart de xAI offert : Elon Musk a annoncé que les investisseurs de X Corp (anciennement Twitter) détiennent 25% de sa nouvelle entreprise d'intelligence artificielle, xAI Corp. Sans compenser les pertes subies par les actionnaires depuis le rachat de Twitter, le geste veut marquer l’intégration stratégique des deux entreprises et signaler un changement vers des opérations commerciales unifiées. Grok, le modèle de xAI lancé en début de mois se nourrit notamment des échanges sur X-Twitter (lire Qant du 6 novembre).
    Pour en savoir plus: Cryptolitan

  • La culture britannique s’organise face à l’IA : La secrétaire d'État à la Culture en Grande-Bretagne Lucy Frazer a appelé ce lundi les décideurs des secteurs de la musique, du cinéma et de l'édition à une table ronde pour discuter des risques de l'IA pour les industries créatives. Parmi les participants à la réunion, on compte des responsables de Warner Music, Getty Images ou encore de l'association britannique des éditeurs.
    Pour en savoir plus :
    The Independant

BLOCKCHAINS

  • En Suisse, Santander s’ouvre aux cryptos : Santander Private Banking International propose désormais à ses clients ayant des comptes en Suisse des services d'achat, de vente et de conservation pour les actifs en bitcoin et en éther. Cette initiative devrait inclure à terme d'autres cryptomonnaies.
    Pour en savoir plus: CoinDesk, Coin Telegraph

  • Entre CBDC de gros et de détail, la Russie avance sur les deux : Le ministère des Finances de Russie a annoncé sa participation à des pilotes de monnaie numérique de banque centrale de détail à partir de 2024, tandis que des législateurs de la Douma ont exprimé leur préférence pour une CBDC de gros, visant à faciliter les paiements transfrontaliers et à contourner les sanctions occidentales. Parallèlement, le ministère des Finances prévoit des pilotes de CBDC de détail pour des paiements sociaux et des subventions, avec des essais généraux de rouble numérique prévus pour début 2024.
    Pour en savoir plus: Ledger Insights

AR-VR-XR

  • Le Vision Pro se fera désirer : Selon les informations du journaliste de Bloomberg Mark Gurman, la sortie de l'Apple Vision Pro (lire Qant du 6 juin) pourrait être retardée jusqu'à environ mars 2024. Bien que la distribution et les tests avancés de l'appareil soient en cours, Apple prévoit une sortie limitée aux États-Unis au début, avec une expansion prévue au Royaume-Uni et au Canada d'ici la fin de l'année. Le casque sera exclusivement vendu dans les magasins d’Apple (lire Qant du 7 novembre).
    Pour en savoir plus: Forbes

  • Le responsable AR de Meta démissionne : Le responsable du logiciel de réalité augmentée chez Meta, Don Box, vient de quitter son poste. Cette démission pourrait représenter un revers pour le projet de lunettes AR de Meta, malgré les assurances de l'entreprise qu'il n'y aura pas de changement dans la feuille de route du produit suite à ce départ. Pour en savoir plus: Reuters, The Verge

EXPERT : Les risques de l’IA, III

Cet article est le troisième d’une série consacrée aux risques que pose l’IA. On peut lire aussi :

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

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Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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