Enfin dans le vent : Mistral, Pimento et l'AI Act

L'Europe adopte l'AI Act • Pimento lève 3 millions d'euros • L'IA de Baidu anime un robochien • Bienvenue dans Qant, qui teste les voix de synthèse d'Eleven Labs, ce lundi 11 décembre 2023.

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » Paul Virilio

Chaque jour, les journalistes de Qant illustrent les tendances de fond qui animent la tech. Ils s’appuient sur Kessel Média et utilisent l’IA générative depuis mars 2022.

DERNIÈRE MINUTE

Mistral emporte 385 millions d’euros

L’espoir français des modèles de fondation atteint bien les 2 milliards de dollars de valorisation attendus et rejoint l’allemande Aleph Alpha, qui l’avait battue d’un mois pour son deuxième tour.

Le robot parisien s'envole (Qant, M. de R. avec Midjourney)Le robot parisien s'envole (Qant, M. de R. avec Midjourney)

La start-up française Mistral AI vient d'annoncer avoir levé 385 millions d'euros (environ 414,41 millions de dollars) lors de son deuxième tour de financement en sept mois, mené par Andreessen-Horowitz et le lead du premier tour, LightSpeed Ventures. Comme nous l’annoncions la semaine dernière, la valorisation de l'entreprise devrait s’élever à 2 milliards de dollars (lire Qant du 5 décembre). Basée à Paris et fondée par d'anciens chercheurs en IA de Meta et Google, Mistral AI avait déjà levé 105 millions d'euros en juin, seulement un mois après sa création (lire Qant du 5 juin). La société a lancé cet été un premier modèle open source, Mistral 7B.

Le mois dernier, l’allemande Aleph Alpha a conclu un deuxième tour de 500 millions de dollars (467 M€), mené par des industriels, notamment Hewlett Packard Enterprise, SAP et Burda, qui rejoignent au capital Bosch Ventures et le groupe Schwarz, propriétaire de Lidl. Elle n’avait cependant levé que 27 millions de dollars au premier tour, en 2021 : les deux start-up, française et allemande, auront donc disposé approximativement des mêmes fonds.

Il leur reste à se mesurer aux géants californiens.

Pour en savoir plus :

L’ÉVÉNEMENT

Avec l’AI Act, l’Europe tente de prendre sa revanche

Dépassé depuis un demi-siècle par les progrès de l’informatique puis du numérique, le Vieux Continent essaie d’imposer sa marque dès le début de la révolution cognitive.

"Une touche européenne sur les robots" (Qant, M. de R. avec Midjourney)"Une touche européenne sur les robots" (Qant, M. de R. avec Midjourney)

Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, les trois législateurs européens ont adopté le premier règlement du continent en matière d'IA. Le règlement avance donc dans les temps, mais la procédure reste longue. Nul ne semble savoir précisément quand il sera mis en application : pour l’heure les estimations varient de fin 2024 à début 2026. D’ici là, en tout cas, un cadre d’adoption volontaire pourra être mis en place et le texte fera référence, y compris à l’international. Il pourrait en effet influencer les réglementations britannique et américaine, après leurs élections respectives, et l’éventuelle création d’une agence internationale de l’IA.

Ce serait un grand retour de l’influence européenne dans les technologies. Pour l’heure, hostiles à la réglementation, les grands éditeurs tendent à omettre le Vieux Continent au lancement de leurs produits. Ni Gemini de Google ni Claude d’Anthropic ne sont disponibles en Europe. De même, Meta avait fait l’impasse sur l’Europe lors du lancement de Threads cet été.

Pendant plusieurs mois de trilogue (lire Qant du 26 octobre, du 19 septembre, du 22 mai et du 12 mai) , la vision plus restrictive du Parlement européen s’est heurtée aux gouvernements nationaux sur deux points : la reconnaissance faciale et les modèles de fondation. Le compromis, qui a soigneusement omis de rouvrir l'épineuse question du droit d’auteur, a favorisé les choix du Parlement sur la première et ceux des États, particulièrement la France et l’Allemagne, sur les deuxièmes, plus importants économiquement.

Risques et yottaflops

L'approche adoptée par les législateurs européens est basée sur le risque, avec quatre paliers de réglementation, de plus en plus stricts au fur et à mesure que les applications d'IA considérées comme plus dangereuses. Les modèles entraînés avec une puissance de calcul supérieure à 10 yottaflops seront automatiquement caractérisés comme systémiques : une hypothèse qui ne concerne aujourd’hui que GPT-4 (qui aurait été entraîné avec 33 yottaflops) et sans doute Gemini.

Les créateurs de systèmes d'IA à usage général seront soumis à de nouvelles exigences de transparence et ils seront supervisés par un Bureau de l’IA au sein de la Commission. Les logiciels open source et gratuits, en revanche, seront exclus du champ d’application du règlement, à moins qu’il ne s’agisse de systèmes à haut risque, d’applications interdites ou d’IA dédiées à manipuler. “Félicitations aux gouvernements français, allemand et italien pour ne pas avoir abandonné les modèles open source” s'exclamait dès samedi matin sur X-Twitter le français Yann Le Cun, qui dirige le laboratoire d’intelligence artificielle de Meta.

Les modèles open source seront tout de même soumis à la publication d’un résumé détaillé, aux obligations pour les modèles systémiques et aux responsabilités tout au long de la chaîne de valeur de l’IA, ainsi qu’aux règles sur le respect des droits d’auteur.

Garder l’œil sur les RH

Les IA entraînées sur des données de santé et de sécurité seront réglementées avec une attention particulière, ainsi que sur celles utilisées par les ressources humaines en entreprise. L’Europe craint en effet que les biais existants ne soient renforcés par l’utilisation de l’IA. Les entreprises développant des outils d'IA potentiellement nocifs devront fournir des évaluations des risques et garantir que leurs systèmes ne causent pas de préjudices, comme la perpétuation de biais raciaux.

Pour leur part, les modèles de diffusion ou multimodaux, qui génèrent des images, devront clairement indiquer qu'elles sont générés par l'IA. Certaines pratiques seront totalement interdites, comme les techniques de manipulation, les systèmes d’exploitation des failles de sécurité, la notation sociale et comme le scraping indiscriminé d'images contenant des expressions faciales.

Les entreprises qui enfreignent le règlement pourront être soumises à des amendes allant jusqu'à 7 % de leurs ventes mondiales, mais au total, les obligations des créateurs de modèles même systémiques restent assez légères. Outre la dextérité de Cédric O, ancien ministre et administrateur du français Mistral, la victoire aura été remportée par le lobbying des grandes sociétés américaines, mais aussi européennes : Airbus, Renault et Siemens, notamment, se sont exprimées en faveur de l’innovation. Seules les industries culturelles et créatives ont pris la défense du Parlement.

En revanche, l'utilisation de systèmes de reconnaissance faciale et émotionnelle sera sévèrement restreinte. Seules les forces de l’ordre et les forces armées bénéficieront de certaines dérogations. La reconnaissance faciale en temps réel ne sera autorisée qu’en cas de recherche de victimes, de prévention d’une menace terroriste ou de localisation et identification de personnes soupçonnées de crimes. D’autres exemptions s’appliqueront pour l'identification biométrique à distance des personnes dans les lieux publics.

La notation sociale à la chinoise, dont personne ne voulait, sera formellement interdite.

Pour en savoir plus :

La France met du Pimento dans l’IA 

La start-up française Pimento vient de lever un premier tour de 3 millions d’euros pour sa plateforme de création de contenus destinés aux marques et aux agences.

“Du piment pour le robot” (Qant, M. de R. avec Midjourney)“Du piment pour le robot” (Qant, M. de R. avec Midjourney)

Initialement dépassés par l’importance des investissements nécessaires, les VC français commencent à prendre pied, prudemment, dans des start-up d’IA générative. Partech International et Cygni Capital, un fonds d’investissement fondé à San Francisco par Thomas France, l’un des cofondateurs de Ledger, viennent ainsi de miser 3 millions d'euros sur Pimento, aux côtés de nombreux business angels. 

Créée en octobre 2022 par Florent Facq et Tomás Yany, Pimento veut assister les marques, studios et agences dans leur projets créatifs grâce à l’IA. La start-up se concentre sur les premières étapes des processus créatifs tels que l'idéation, le brainstorming et la création de mood boards. Les utilisateurs commencent par rédiger un brief textuel décrivant leur projet, puis ajoutent quelques images de base. À partir de là, l'IA de Pimento génère des images, du texte et des couleurs en adéquation avec les instructions initiales. Les utilisateurs peuvent ensuite sélectionner et sauvegarder les propositions qui les intéressent pour les partager via un lien, créant ainsi une planche d’inspiration (“mood board”) complète et personnalisée. 

De plus nombreux modèles de fondation

Le processus est itératif : on peut utiliser Pimento en fusionnant des images, en sélectionnant des couleurs, en réutilisant du texte pour générer de nouvelles images, en demandant de nouvelles variantes d'images…Actuellement, la start-up utilise deux modèles de fondation, Stable Diffusion et Llama. Elle prévoit d’ajouter Mistral AI à son carquois, ainsi que de nouvelles fonctionnalités, comme la personnalisation des mood boards partagés.

Outre Partech et Cygni Capital, de nombreux investisseurs individuels ont participé au tour : Julien Chaumond (Hugging Face), Thibaud Elzière (Hexa), Igor Manceau (ancien directeur créatif chez Ubisoft), Stanislas Polu (Dust), Alessandro Sabatelli (ex-Apple), Jean-Charles Samuelian (Alan), Nicolas Steegmann (ex-Stupeflix) et Jonathan Widawski (Maze).

On retrouve la même multitude de particuliers dans les tours de Mistral AI et Poolside AI. Mais parmi les fonds français, seuls Bpifrance et – dit-on – Daphni avaient pris des participations très minoritaires dans des tours, il est vrai, bien plus importants.

Pour en savoir plus :

L’ESSENTIEL : Altana, Deloitte, Meta, MIT, Ripple, Weilan

ROBOTS

Le chien-robot, meilleur ami de l’homme

BabyAlpha, nouveau robot du chinois Weilan faisant appel aux LLM de Baidu, peut servir de compagnon pour les enfants mais aussi de gardien pour l’appartement.

La société chinoise Weilan vient de dévoiler BabyAlpha, un robochien doté d'oreilles conçu pour rester constamment aux côtés de l'utilisateur, avec une capacité d'apprentissage et une mémoire émotionnelle. Grâce à l’IA générative, le robot paraît comprendre le discours humain et peut montrer de l'empathie, bien qu'il ne puisse pas répondre aux questions. Il veut évoquer les personnages de films d'animation. 

En plus de servir de compagnon, BabyAlpha peut aussi agir comme gardien de sécurité à domicile et il peut se transformer en interface d'appel vidéo. Capable de se mouvoir de manière autonome, il peut être contrôlé via une app ou une télécommande via Bluetooth, WiFi et 4G. Il est équipé de capteurs variés, incluant une vision grand-angle, un radar à ondes millimétriques, un lidar à 360 degrés, un ensemble de microphones et un capteur inertiel. Équipé de la solution d'interaction vocale IA de Baidu, BabyAlpha gère le chinois et l’anglais, mais on projette de lui faire apprendre des langues supplémentaires. 

Voire de rapporter la balle.

Pour en savoir plus : Interesting Engineering

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

  • Helen Toner s’explique sur le licenciement d’Altman : L’une des membres du conseil d'administration d'OpenAI qui ont décidé de licencier Sam Altman (lire Qant du 22 novembre), l’australienne Helen Toner, maintient que la décision de se séparer de Sam Altman n'était due qu’à la perte de confiance de la part du conseil. Elle affirme que l'objectif était de renforcer OpenAI et de lui permettre de mieux atteindre sa mission. Elle s’était opposée publiquement au directeur général sur la vitesse de lancement de Chat-GPT et GPT-4.
    Pour en savoir plus: Wall Street Journal, Fortune

  • L’IA pour lutter contre le fentanyl : Les douanes américaines ont prolongé leur partenariat avec la start-up Altana, pour lutter contre le trafic de fentanyl. L'IA d'Altana assiste les agents des douanes et de la protection des frontières  en cartographiant comment les ingrédients du fentanyl sont assemblés et expédiés vers les sites de production.
    Pour en savoir plus: Axios

  • Le machine learning à l’assaut de la chimie : Des ingénieurs du MIT ont développé une méthode utilisant le machine learning pour déterminer comment les surfaces des matériaux se comportent. AutoSurfRecon permet d’analyser en masse les surfaces de matériaux, sans devoir s'appuyer sur l'intuition pour n’en choisir que quelques-unes. En appliquant ce système à un matériau déjà étudié pendant 30 ans par des méthodes conventionnelles, l’oxyde de titanium-strontium (SrTiO3), ils ont découvert deux nouvelles configurations atomiques de sa surface. Par ailleurs, Google DeepMind a récemment présenté Gnome, un système d'IA consacré à la recherche de matériaux (lire Qant du 1er décembre).
    Pour en savoir plus: Phys.org

BLOCKCHAINS

  • Le container portait un Kilt : L'armateur allemand Hapag Lloyd et Vodafone viennent de s'associer avec Deloitte pour adopter une solution blockchain publique pour l'identification et le suivi des conteneurs de fret. Cette solution intègre une collaboration avec le protocole Kilt, une chaîne parallèle sur la blockchain publique Polkadot, offrant une identité et des références auto-souveraines.
    Pour en savoir plus: CoinDesk,  Ledger Insights

  • Ripple fait entrer la monnaie numérique au Bhoutan : Ripple Labs et la banque centrale du Bhoutan prévoient d'entrer en phase pilote pour le développement d'une monnaie numérique, le Ngultrum Digital, en 2024. Ce projet, commencé en 2021, a déjà franchi plusieurs étapes importantes, dont l'évaluation des besoins et la conception technique. La phase pilote, qui s'étendra jusqu'en 2026, vise à intégrer le ngultrum digital dans l'infrastructure financière existante du Bhoutan, avec l'objectif de promouvoir l'inclusion financière.
    Pour en savoir plus: The Crypto Basic

AR-VR-XR

  • Quand Meta se regarde dans le miroir : Meta a dévoilé un rendu du prototype avancé de son projet de casque VR 'Mirror Lake'. Présenté par Douglas Lanman, directeur de la recherche sur les systèmes d'affichage chez Meta, lors d'une conférence à l'université de l'Arizona, ce casque intégrerait plusieurs technologies de pointe. Il comprend une "focale électronique" utilisant des lentilles à cristaux liquides, des lentilles "Holocake" pour une conception plus fine, et une technologie de "reverse passthrough", permettant de voir les yeux de l'utilisateur à travers le casque.
    Pour en savoir plus: Upload to VR

EXPERT

Laisser Eleven Labs parler pour soi

Grâce à un échantillon de voix, Eleven Labs permet de générer des contenus audio reprenant la voix de l’utilisateur. Qant s’est prêté au jeu.

“Le robot parle au micro” (Qant, M. de R. avec Midjourney)“Le robot parle au micro” (Qant, M. de R. avec Midjourney)

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Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Qant: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Par QANT: Révolution cognitive et Avenir du numérique

Jean Rognetta

Binational franco-italien, économiste de formation, Jean devient journaliste au milieu des années 1990, après avoir fait ses premiers pas dans l’édition et la technologie. Il débute sa carrière au groupe Tests, leader de la presse informatique, puis se spécialise en financement de l’innovation et des PME. Il couvre le sujet pour Les Echos et Capital Finance de 2000 à 2015. En 2016, il rejoint le magazine Forbes et devient directeur de la rédaction de l’édition française.
Pendant la crise financière, il lance l’association PME Finance, à l’origine notamment du PEA-PME et de l’amortissement du corporate venture, ainsi que partiellement de la libéralisation du crowdfunding. Elle fusionne en 2015 avec le groupement d’entrepreneurs Croissance Plus.
Depuis 2020, Jean a lancé la revue SAY, édition française de Project Syndicate, dont il reste contributing editor, le supplément Corporate Finance du Nouvel Économiste et la collection Demain! aux Editions Hermann.

Maurice de Rambuteau

Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ Paris) et de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP BS), Maurice de Rambuteau a fait ses premières armes de journaliste dans le sport, pour le site et le magazine SoFoot, puis au sein de la rédaction football de L'Equipe. Il s'est ensuite tourné vers le journalisme économique au sein de la rédaction de La Croix, avant de donner libre cours à sa passion pour la technologie en rejoignant Qant en juin 2022 pour un premier tour d’horizon de l’IA générative. Depuis, il a percé les mystères des blockchains et du métavers et, surtout, passé des dizaines de modèles d’IA au banc d’essai.

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